La guerre commerciale de Trump contre le reste du monde et la Chine en particulier sont l'occasion de voir de nombreux commentaires extrêmes sur la Chine. Sur X, on trouvera des voix pour vous expliquer que la Chine a déjà gagné, qu'elle est en passe de dépasser les USA, que rien ne peut plus arrêter son industrie... Ce sont les béats de la Chine. Ils voient dans la Chine le champion des pays du Sud qui leur donnera leur revanche et leur permettra de se libérer des chaines post-coloniales des pays occidentaux. Dans le camp de China bashing, on a quelques voix (comme Gordon Chang) qui annonce l'effondrement prochain de la Chine (depuis 2001 en ce qui concerne M. Chang), mais on a aussi ceux qui, comme les béats, agitent le miroir d'une Chine puissante, mais pour nous effrayer en pronostiquant une domination mondiale de la Chine si nous continuons de commercer avec elle. Le plus étonnant, c'est d'entendre des libéraux comme Denis Payre dire qu'une Chine qui subventionne ses industries va détruire nos entreprises. Or s'il suffisait de subventionner, la France aurait encore une industrie métallurgique ou d'électro-ménager! C'est vraiment incroyable d'entendre un libéral se renier à ce point et de concéder que le modèle étatiste de la Chine lui procurerait un avantage concurrentiel.
Sur BFM TV, M. Payre clame aussi que la Chine n'aurait pas tenu les engagements qu'elle pris pour entrer dans l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001. Ils sont au nombre de 5:
1. Accès aux marchés : La Chine a accepté de réduire les droits de douane et d’éliminer les obstacles non tarifaires sur les biens et les services, ce qui permettra aux entreprises étrangères d’avoir un meilleur accès à ses marchés. En effet, les tarifs douaniers ont baissé de 15,3% en 2001 à 2,3% en 2024. Le nombre de secteurs protégés continue aussi de baisser.
2. Transparence : Elle s’est engagée à rendre ses lois et réglementations liées au commerce plus transparentes et plus prévisibles. Elle a notamment inscrit le droit à la propriété privée dans sa constitution en 2004 (sauf pour le foncier).
3. Droits de propriété intellectuelle : La Chine s’est engagée à protéger les droits de propriété intellectuelle conformément aux accords de l’OMC. C'est dans ce domaine qu'elle a fait le plus de progrès, à mes yeux. En effet, la Chine n'est plus un pays qui copie, mais il sait aussi innover dans des nouvelles technologies (5G, VE, batteries...)
4. Entreprises d’État : L'Etat chinois a promis de réduire l’influence du gouvernement sur les entreprises d’État et de s’assurer qu’elles fonctionnent à des conditions commerciales. La Chine a réformé la plupart des entreprises de son ère communiste, pré-OMC. Elle a surtout gardé le contrôle sur l'acier et l'aluminium, deux secteurs fondamentaux pour la construction immobilière et les grands travaux d'infrastructures.
5. Subventions et notifications : La Chine a accepté de se conformer aux règles de l’OMC sur les subventions et de fournir des notifications à ce sujet. Mais si elle s'est récemment mise à subventionner le high-tech, elle le fait aussi en réponse à la décision des USA de lui imposer un embargo sur les microprocesseurs et les machines à produire des microprocesseurs. Quant aux subventions pour la photovoltaïque et les voitures électriques, elles font suite aux COP qui déclarent qu'il y a urgence climatique à sortir des énergies fossiles. La Chine n'a fait que mettre en action des décisions internationales. Dans ce cas précis, la Chine a fait avancer les technologies renouvelables, un secteur très subventionné partout dans le monde (car le pétrole reste abondant et peu cher). Si on considère que la lutte contre le changement climatique est prioritaire, on peut applaudir les subventions chinoises dans ces domaines. Et si, comme moi, on pense que l'adaptation au changement climatique est une meilleure stratégie que celle qui consiste à faire baisser les émissions de CO2, alors les subventions chinoises sont un investissement risqué si les subventions occidentales s'arrêtent ou si les consommateurs ne croient plus en l'urgence climatique.
Denis Payre accuse aussi la Chine d'avoir des standards sociaux et environnementaux bien inférieurs à ceux de l'Occident. Je veux bien lui donner raison, mais la situation évolue. En effet, dans the Skeptical Envrironmentalist, Bjorn Lomborg montre que les pays pauvres ont besoin d'atteindre un certain niveau de développement avant que la protection de l'environnement prenne de l'importance. C'est logique! Quand votre peuple meurt de faim ou qu'une grande partie est pauvre, alors la protection des salariés et de l'environnement n'est pas votre priorité. Notons aussi que le consommateur occidental a profité, par des prix bas, du fait que la Chine avait un seuil de tolérance plus élevé pour la pollution.
Mais cela change. Depuis 2013, l'air de Beijing est devenu plus propre (baisse de 40-50% en Chine des concentrations de particules fines entre 2013 et 2021.) La part du charbon dans la production d'électricité baisse (de 72% en 2005 à 56% en 2022) et les centrales les plus polluantes ont été fermées ou améliorées. Le traitement de l'eau en ville est passé de 52% en 2000 à 98% en 2022. Et les salaires chinois ont tellement progressé, surtout dans les villes côtières que les entreprises chinoises à basse valeur ajoutée, comme la chaussure, délocalisent depuis belle lurette au Vietnam et en Indonésie!
Le niveau de vie des Chinois a beaucoup progressé depuis 2001. Son PIB par habitant est passé de 1000 USD à 13000 USD. Pendant ce temps, le PIB des Américains a progressé de 50 K USD et celui des Français de 25 K USD. C'est bien la preuve que l'accession de la Chine au commerce mondial n'a pas appauvri l'Occident. Alors, certes, la protection sociale est moindre en Chine, mais est-ce un bug si on croit en la liberté et la responsabilité? Ou bien la protection sociale devrait-elle d'abord avoir lieu au sein de la famille? Or, on sait bien que le respect des parents est une valeur importante dans les sociétés confucéennes. N'est-ce pas plutôt notre système de protection social (CAF, Sécu et retraite par répartition) qui ont besoin de réforme? Je rappelle que les prélèvements obligatoires sont les plus hauts en France (45%) contre 25% aux USA et 20% en Chine!
En conclusion, la Chine est clairement encore dans une phase ascendante. La moitié des ingénieurs et scientifiques qui sortent des universités actuellement sont Chinois. Son marché intérieur avec 1,4 milliards d'habitants est immense. Mais 50% n'est pas 100% et il y a encore 7 autres milliards de gens sur terre. Son système méritocatique repose sur 1500 ans d'histoire (depuis la dynastie Sui (581-618)) et ce système a produit le meilleur et, parfois, le pire. La Chine semble embrasser les IA et la robotisation, mais elle n'est pas à l'abri de périodes de repli sur soi pour éviter des transformations trop rapides qui pourraient fragiliser le pouvoir du PCC. Sa domination du monde ne va donc pas de soi. Mais ce n'est pas en se coupant d'une Chine innovante et riche que nous pourrons continuer à nous développer. Ces dernières 25 années ont surtout montré qu'un pays qui tourne le dos au socialisme peut rattraper son retard. C'est surtout cette leçon que nous devrions apprendre de la Chine! Ensuite, il ne s'agit pas de laisser entrer tous les produits de Chine, mais de négocier une ouverture de nos marchés respectifs, et, cette fois-ci, peut-être faire des JV avec les Chinois dans les technologies où ils sont en avance.