Saturday, February 11, 2023

Histoire de famille, histoire du pays


Mon grand-père, Robert Joseph, est mort à 60 ans quand j'avais 3 ans. Père de 5 enfants, il était alors pharmacien dans un petit village alsacien perdu entre les Vosges et l'Allemagne. Heureusement pour ma grand-mère, l'aîné avait fait pharma et allait immédiatement pouvoir reprendre la pharmacie. Mais au lieu de préserver ce capital et de le faire fructifier, ma grand-mère et son fils l'ont 'mangé', presque littéralement! Je vais vous expliquer comment cela s'est passé et la similitude avec la situation des retraites en France.

La pharmacie était située dans la maison familiale et mon oncle Roland, le pharmacien, a continué à vivre avec ma grand-mère dans cette maison. Ayant hérité de la pharmacie avec la maison familiale, ma grand-mère avait 2 choix:

1- garder la propriété sur la maison et louer la pharmacie à son fils afin d'en tirer un revenu locatif pour compléter ses revenus.

2- rester propriétaire de la partie habitation de la pharmacie et vendre la pharmacie à son fils. Elle aurait ainsi pu investir ce capital en obligations et/ou en actions afin de préserver ce capital et en tirer des revenus complémentaires.

Ces 2 solutions permettaient de conserver le capital mis de côté par son mari et de le transmettre, à sa mort, à tous leurs enfants. Malheureusement, ma grand-mère et mon oncle ont opté pour une troisième solution qui semble mélanger les deux, mais aboutit à un résultat très différent. 

Au lieu d'être payé en une traite, ma grand-mère a vendu la pharmacie à son fils par mensualités, sur de nombreuses années. (Note: je n'ai pas les détails des transactions). Or, qu'a fait ma grand-mère avec ces rentrées mensuelles qui dépassaient ce qu'aurait rapporté une simple location? Tout cet argent était dépensé au profit de ceux qui vivaient encore sous le toit familial, dont mon oncle pharmacien, ses deux jeunes frères et sa sœur! Si l'achat avait été fait d'une traite, l'argent aurait été investi, mais comme il fut payé en un flux régulier, il fut plus difficile d'épargner.

Dans le domaine financier, il y a parfois des jeux à somme nulle. Peut-être est-ce mon oncle pharmacien qui a fait une bonne affaire avec sa mère (et vis-à-vis de ses frères et sœur en captant leur héritage)? Tout ce que ma grand-mère dépensait en bouffe pour lui, le loyer de la maison qu'il économisait (puisqu'il n'a jamais vécu ailleurs que chez sa mère), il a pu l'économiser et faire de larges économies avec ses revenus de pharmaciens, non? Cela aurait effectivement pu être le cas, mais dans la réalité, mon oncle était un noceur. Il sortait quasiment tous les soirs au restaurant et/ou au bar. Il s'était même acheté un petit avion à hélice pour satisfaire ses rêves de gosse. 

Il est mort d'un cancer du foie en 2011, à l'âge où ses confrères partaient à la retraite (qui peuvent le remercier!) Si j'ai bien compris, le seul capital qu'il légua à ses enfants fut cette pharmacie familiale. Avec sa maigre retraite, ma grand-mère mourut 3 ans plus tard dans une maison décrépite et sans grande valeur . Il n'y avait guère d'héritage pour les 4 enfants restants, car cela faisait longtemps que le capital que représentait cette pharmacie avait été 'mangé'.

La vie avait été belle pendant un certain temps, mais sans nouveaux investissements, les revenus ont stagné et la fin s'est donc traduit par un appauvrissement pour toute la famille.

Cette histoire de famille m'a rendu très sensible aux situations malsaines où le capital est 'mangé', où il dépensé au lieu d'être investi. Or, je trouve qu'il y a une ressemblance entre cette histoire et la retraite par répartition. En effet, dans la retraite par répartition, les retraités dépensent une partie des revenus des jeunes actifs. Or, cet argent, dont les actifs arrivent tant bien que mal à se priver, aurait pu, pour la plus grande part, être investi. Alors certes, souvent les retraités dépensent aussi une partie de leur retraite pour le bénéfice de leurs enfants et petits-enfants, mais cette dépense n'est qu'une richesse en trompe-l'œil. Elle n'est pas durable, car elle réduit le capital et l'investissement total des Français. 

Ainsi, le CAC 40 appartient à 40% aux étrangers et la dette publique est détenue à 50% par des non-résidents. C'est un signe que les Français vendent à la fois du capital et des promesses de remboursement afin de financer leur train de vie et celui de l'Etat. 

Certes, la France reste encore un pays assez attractif pour les investisseurs étrangers et les Français les plus fortunés qui peuvent se permettre des montages fiscaux. Ces investissements bénéficient d'ailleurs indirectement à tous les Français, car ils améliorent la productivité des actifs et augmentent les salaires. Cependant, avec moins de répartition (et plus de capitalisation), les Français de presque tous les niveaux de revenus pourraient investir encore plus et tirer non seulement des bénéfices indirects, mais aussi des revenus financiers futurs qui iraient croissant avec l'âge. Ce serait idéal pour lever le pied progressivement et pour financer les retraites alors que le rapport actifs/retraités se détériore. Quel gâchis!

Dans cette histoire de famille, mon père avait quitté la maison familiale en premier, peu avant la mort de mon grand-père. A court terme, c'était lui le plus lésé par cette situation, car l'héritage fut dilapidé sans qu'il en bénéficie. Cependant, je crois que cette injustice lui a fait prendre conscience de l'importance d'épargner afin de devenir propriétaire (de plus d'une maison!) et de capitaliser pour sa retraite. 


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