Friday, April 14, 2023

La chute d'un empire

C'est l'histoire d'un très grand pays. Son niveau technologique et ses arts n'ont pas d'égal. Mais ses dirigeants se sont embarqués dans une 'nouvelle politique' depuis une quarantaine d'année dont la mention de nouveauté devrait la rendre suspecte dans ce pays réputé conservateur. Cette 'nouvelle politique' consiste surtout à augmenter les prérogatives de l'Etat et son intervention dans la société. Pour financer de nouveaux programmes d'aide aux pauvres, aux écoles et aux armées, le gouvernement a augmenté les impôts, nationalisé et monopolisé certaines industries. Face à des catastrophes météorologiques, comme les inondations, le chef de l'Etat fait appel à la pensée magique religieuse au lieu d'approuver la construction de nouvelles digues. Et comme ses dépenses excèdent ses revenus, le gouvernement a augmenté la masse monétaire, ce qui a déclenché une inflation, puis une révolte populaire matée violemment par les forces de l'ordre. Puis, quand la guerre a éclaté face à un peuple barbare, l'Etat fut ruiné et ce fut la chute de ce dirigeant qui perdit sa liberté et la moitié de son pays !


Cette histoire ressemble fort à ce que nous vivons, mais il s'agit, en quelques lignes, de l'histoire de l'empereur Huizong, le dernier empereur de la dynastie des Song du Nord. Depuis bientôt l'an 1127, les Chinois se demandent comment cette catastrophe a pu avoir lieu. Est-ce parce que l'empereur était un artiste et un poète, bref, pas assez viril pour diriger l'armée ? Est-ce parce qu'il dépensait beaucoup d'argent pour la construction de temples, de parcs et d'objets de luxe ? Dans cette biographie, l'historienne Patricia Buckley Ebrey essaie de réhabiliter Huizong et ne pense pas que l'essentiel soit là. S'il est bien plus artiste que d'autres empereurs, Huizong ne fut pas le seul à composer des poèmes et à poursuivre ses rêves de grandeur. Elle ne donne pas réponse catégorique, car c'est une historienne nuancée et éditée par les presses de Harvard, un bastion de la gauche américaine. Aussi, je vous propose de connaitre l'histoire de cet empereur plus en détail.

Né en 1082, Huizong est le troisième fils de l'empereur Shenzong qui mourut en 1085. Le pouvoir passa au grand frère de Huizong, l'empereur Zhezong, mais celui-ci mourut en 1100 avant d'avoir pu enfanter un héritier. Et comme le second frère était aveugle, l'impératrice mère décida que ce serait Huizong le nouvel empereur. Ce dernier refusa plusieurs fois avant de finir par accepter, sous condition que sa mère officielle (sa mère naturelle était morte jeune) l'aide dans les premiers temps en assurant une régence commune. 

L'empereur chinois gouverne notamment au travers de son conseil d'Etat composé de plusieurs ministres et d'un chef nommé par l'empereur. La question la plus difficile que Huizong eut à trancher fut de savoir s'il fallait continuer les 'nouvelles politiques', les réformes amorcées en 1069 par Wang Anshi, le chef du conseil de son père et continuées sous son frère. Or, pendant deux ans, Huizong hésita et il y eut une sorte de cohabitation entre les réformateurs et les conservateurs. Ces 'nouvelles politiques' consistaient en un programme de prêt de semences aux fermiers et de nombreuses nouvelles taxes commerciales. Une raison pour l'instauration de ces taxes et d'une agence de vente de thé du Sichuan contre des chevaux de l'empire Xi Xia, était de fortifier l'armée Song en vue d'une campagne pour reprendre des territoires perdus dans le nord. Mais bien que 50% du budget allait aux armées, la campagne militaire de son père fut un semi-échec et Shenzong abandonna ses velléités de conquête. Pour pacifier ses frontières du nord, l'empire Song continua alors de payer un tribut annuel d'argent, de soie et de thé à ses deux voisins septentrionaux, les Xi Xia et les Liao. 

En choisissant Cai Jing comme le premier des ministres en 1102, Huizong prit finalement le parti des réformateurs et de leur 'nouvelle politique'. Son frère Cai Bian devint alors le directeur du Bureau des Affaires Militaires et dès 1103, l'armée Song parvint à reprendre deux préfectures dans le nord aux Xi Xia. D'autres campagnes militaires allaient avoir lieu contre les Xi Xia dans les 10 années suivantes. L'ampleur de ces victoires semble avoir été exagéré à Huizong. Ces victoires permirent de diminuer le tribut payé aux Xi Xia, mais rendaient le tribut payé au royaume de Liao plus intolérable. 

Grâce au commerce du thé, l'armée chinoise eut donc accès à plus de chevaux et de ressources financières pour être victorieuse, mais le poids financier de ces 'nouvelles politiques' se faisait durement sentir. En effet, pour faire face à un manque de pièces de monnaie en bronze, les réformateurs eurent l'idée d'en forger de nouvelles d'un poids environ double, mais d'une valeur de 10 au lieu de 2. La monnaie papier fit aussi son apparition, mais sa circulation était limitée au Sichuan. Ces mesures d'expansion de la valeur de la masse monétaire eurent pour conséquence une inflation de 200% ! La crise fut tellement sévère que cette nouvelle pièce fut retirée du marché et Cai Jing dut quitter le pouvoir en 1109 avant d'être rappelé par Huizong en 1112.

En 1115, le général Zhao Liangsi passa du camp des Liao à celui des Song et Huizong l'envoya en 1118 négocier une alliance avec les Jurchen (qui allaient prendre le nom d'empire Jin) contre les Liao. Après quelques aller-retours, l'alliance prit forme et Song et Jin se mirent d'accord pour attaquer les Liao par le Sud et le Nord-Est respectivement fin 1120. Mais c'est justement à ce moment qu'eut lieu la révolte de Fang La dans le Sud de la Chine. Mis tardivement au courant de cette révolte populaire, Huizong décida d'envoyer l'armée qui aurait dû combattre les Liao. Les rebelles furent très nombreux à avoir joint la rébellion contre cette politique de forte imposition fiscale, mais ils n'étaient pas de taille face à l'armée. Elle les écrasa dans un bain de sang, mais perdit beaucoup de temps dans le sud marécageux. 

Entre-temps, les Jurchen firent la guerre seuls contre les Liao et parvinrent à faire tomber ce royaume sans l'aide des Song. Quand l'armée Song put enfin se mesurer aux dernières forces Liao à Yanjing en 1122, ses résultats furent mitigés. Les chevaux commençaient à manquer à l'armée Song et les considérables dépenses de guerre asséchaient ses finances. Les nomades Jurchen venaient, eux, de s'enrichir des pillages du royaume Liao et leur appétit de bataille était décuplé par leurs victoires rapides. Aussi, quand les Jurchen remarquèrent la faiblesse de l'armée Song face aux derniers Liao, ils se montrèrent de plus en plus hostiles à face leur allié. En 1125, ils envahirent le territoire chinois et envoyèrent leurs forces directement sur la capitale Kaifeng où Huizong abdiqua en faveur de son fils. Mais cette abdication ne permit pas de renverser la situation. Au contraire, elle augmenta la confusion et le sentiment de panique du côté chinois. 

La défaite des Song fut totale et les Jurchen repartirent avec toutes les richesses de la capitale (or, argent, soie) et des femmes esclaves prises parmi la cour des Song et tout le clan impérial fut fait prisonnier et déporté vers le nord. La plupart de ces prisonniers moururent en chemin. 

Selon cette biographie, la plus grande erreur de Huizong et de sa cour fut de s'allier aux Jurchen contre les Liao. Il n'avait pas anticipé la puissance de cette peuplade et le risque qu'il pouvait poser à la Chine. Avec l'éloignement et le manque d'information, l'auteur plaide pour l'erreur humaine et le fait que n'importe quel autre empereur aurait pu faire la même erreur. Elle dédouane donc le goût de Huizong pour le luxe et les arts de cette débâcle. Je crois qu'elle a raison sur ce point, car maitriser la poésie, la peinture et la calligraphie, cela demande de l'intelligence et du travail, des qualités pour un empereur.

D'après cette biographie, je vois une autre raison plausible de l'effondrement des Song du Nord. Le livre met bien en évidence que le moment de bascule provient de cette campagne contre la région de Yan, la région Liao peuplée majoritairement de Chinois ethniques. Les Song pensaient que la conquête allait être une simple libération d'un peuple chinois opprimé. Si cela avait été le cas, les Jin auraient probablement respecté la victoire des armées Song. 

Mais qu'est-ce qui a empêché cette victoire ? La première raison est mentionnée clairement dans le livre: le retard de la campagne chinoise qui a d'abord du mater la rébellion de Fang La. Ce retard et ce détour par le sud a aussi du causer de la fatigue physique et morale parmi les troupes, car elles ont commencé par massacrer des compatriotes. La troisième raison n'est pas évoquée dans le livre, mais imaginez l'état d'esprit des Chinois de Yan. Ils vivaient paisiblement sous domination Liao, avec des impôts légers, vu que le tribut annuel des Song permettait de remplir les entrepôts des Liao. Ils voient que l'empire Liao s'écroule face aux Jurchen, mais ils voient aussi que les troupes Song viennent les attaquer après avoir massacrées des centaines de milliers de Chinois qui s'étaient rebellé contre le pouvoir central des Song et ses lourds impôts. Dans ces conditions, je trouve leur réaction de méfiance compréhensible. Ils n'avaient pas l'impression que l'armée Song venait les libérer, mais les asservir. Ainsi, le retard de l'armée chinoise et la méfiance des citoyens chinois de la région de Yan sont les conséquences des 'nouvelles politiques' qui augmentèrent les impôts sous Huizong. D'ailleurs, selon cet article du Cambridge Journal of Economics, on peut parler de proto-keynésianisme à propos de ces réformes.


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