Une majorité de commentateurs politiques et économiques critiquent le libre-échange pour notre désindustrialisation et l'ascension de la Chine au rang de puissance dominante, rivale des USA. C'est un quasi consensus dans la classe médiatique. Elle va de la droite et de penseurs que j'apprécie comme Zemmour ou Mark Steyn, à la gauche avec Guillaume Bigot, Montebourg, Natacha Polony... Il est difficile de trouver un éditorialiste ou penseur qui pense différemment. Le seul qui me vient à l'esprit est Charles Gave avec
son dernier article en défense du libéralisme. L'autre, c'est Daniel Conversano. Avec son art de la formule, il dit: "Il n'y a pas de complot chinois. Il y a un pays qui joue sa carte face à une Europe et une Amérique qui se tirent des balles en plein dans les couilles." Le bashing de la Chine, pour lui, est une position victimaire similaire à l'antisémitisme de l'extrême-droite qui veut trouver ailleurs que dans la politique française, la source de nos malheurs.
Qu'en penserait Adam Smith, le célèbre penseur du libre-échange? Il n'est plus là pour commenter l'actualité contemporaine, mais essayons de faire parler l'auteur de 'La richesse des nations', publié en 1776. J'ai presque fini de lire cet ouvrage et vais donc essayer d'en extraire les passages qui ont un rapport avec la mondialisation et la Chine.
Dans 'Disgression on silver', Adam Smith écrit que "China is a much richer country than any part of Europe, and the difference between the price of subsistence in China and Europe is very great. Rice in China is much cheaper than wheat is any-where in Europe." On apprend donc qu'il y a 250 ans, la Chine était bien plus riche que l'Europe. Voici quelque chose que les journalistes tendent un peu à oublier. Ils se rappellent surtout que la Chine était extrêmement pauvre durant les années 1960-70. La révolution culturelle Maoïste a, en effet, été le point le plus bas de son histoire et la violence de cette famine est sans équivalent dans l'histoire récente du monde:
Mais sur le long terme, le retour à la prospérité de la Chine n'est pas si étonnant quand on considère la puissance passée de l'empire du milieu. Et Adam Smith explique sa richesse au XVIIIème siècle par le prix bas du riz, une céréale qu'on peut récolter deux à trois fois par an dans la Chine du sud (contre une seule récolte de blé par an en Europe). Par la même occasion, Adam Smith nous explique ce qu'est la richesse. C'est arriver à assurer ses besoins primaires (la nourriture) avec une faible part de ses revenus. Ainsi, les citoyens du pays disposent de plus de temps et de revenus pour les consacrer à des besoins plus évolués (les objets matériels, puis les services).
Dans le premier chapitre de son livre, Adam Smith nous explique que le facteur le plus important qui explique l'amélioration du niveau de vie est la division du travail. C'est ce qui explique la richesse des grandes villes où l'on peut se spécialiser de manière de plus en plus pointue, bien plus qu'à la campagne où les possibilités sont plus réduites. Cette division du travail est aussi à l'oeuvre entre nations. Elle nous permet d'importer les produits de là où leur production est la moins chère, et d'exporter les produits que nous produisons mieux que les autres. Ce processus est créateur de richesse au niveau d'une ville, d'un pays, mais aussi au niveau la planète. Ce graphique montre bien que l'augmentation des revenus se fait de concert et ne se fait pas aux dépends des uns ou des autres (au niveau des pays). Bien sûr, au niveau des individus, certains producteurs peuvent être ruinés par la concurrence internationale et des travailleurs peuvent se retrouver au chômage pendant un certain temps. Mais les ruines et le chômage ne datent pas de la mondialisation. Il y en a toujours eu. Ce qui change, c'est que tous les pays qui participent aux échanges internationaux s'enrichissent.
Une autre objection aux échanges internationaux serait le manque de patriotisme des firmes, notamment les plus grandes, qui s'y adonnent. Adam Smith explique dans son livre que plus l'entrepreneur prend de risques en commerçant loin, plus sa marge sera grande pour compenser ses coûts (transport, assurances...) et ses risques (transport, légaux...). En effet, si un grand nombre de producteurs locaux produisent un certain bien, son prix sera relativement bas dans le pays. Mais si peu de producteurs en produisent à l'autre bout de la terre, alors son prix y sera plus élevé et cela permettra donc d'enrichir le pays d'origine. Mais qu'en est-il des délocalisations d'usine vers l'étranger? Ici aussi, Adam Smith explique qu'aucun entrepreneur ne fait cela pour gagner moins ou autant qu'en restant au pays, mais que s'il prend ces risques, c'est car les potentiels de gains sont bien supérieurs à ce qu'il pourrait gagner en restant. Parfois, la délocalisation fait suite à une concurrence exterieure qui risque de ruiner la firme locale qui n'est plus compétitive. La délocalisation peut lui permet de rester compétitif, voire de le devenir davantage et de gagner des parts de marché. La réussite n'est pas garantie, mais l'augmentation de la richesse dans le monde démontre que les opportunités sont réelles et que les entrepreneurs les saisissent sans appauvrir leur pays d'origine.
Remarquons que le vrai patriotisme est comme la fraternité. C'est un sentiment qui s'inscrit dans la liberté et non dans la contrainte. La gauche aime bien être généreuse avec l'argent des autres. Or, dès lors que les transferts sociaux sont des impôts, on tue la vraie fraternité qui ne saurait être qu'une charité et une aide volontaires. Pareillement, le patriotisme qu'a une certaine droite en tête, ce n'est pas d'agir librement pour le bien de son pays, mais c'est de limiter la liberté des entreprises en les pénalisant si elles s'implantent à l'étranger. Ou bien c'est d'empêcher des Français de vendre leurs actifs à des étrangers qui font la meilleure offre.
Néanmoins, il existe une restriction au commerce international qu'Adam Smith approuve. Il dit que le Royaume Uni a raison d'interdire la vente de navires à la France, son rival militaire. La vente d'armes à son ennemi n'est donc pas souhaitable pour des raisons évidentes, car elles risquent de rapidement se retourner contre soi. Il est donc normal d'interdire les ventes d'armes à la Chine et l'on peut regretter qu'il ait fallu attendre le massacre de TianAnMen pour passer une telle résolution.
L'objection plus fine qu'on pourrait faire en s'appuyant sur ce point, c'est que le commerce international favorise l'enrichissement des Chinois et de son Etat. Ainsi, grâce aux échanges, l'Etat Chinois dispose de moyens de plus en plus importants pour s'armer face à l'étranger et consolider son autoritarisme face à son peuple. Ne commettons-nous pas une erreur en permettant à un rival potentiel de s'enrichir?
A ce propos, notons qu'Adam Smith souhaitait que le Royaume Uni commerce avec la France, lui achète ses vins de Bordeaux et lui vende de la laine, du charbon, du thé... Pour lui, ce commerce civil est un facteur de paix, car il crée des interdépendances entre les 2 pays. En asseyant la prospérité sur les échanges, aucun pays n'a intérêt à déclencher la guerre, car cela voudrait dire qu'il se prive des marchandises produites de manière plus efficace par l'autre pays. De plus, un blocus, le refus de commercer avec un autre pays est considéré comme un acte de guerre. Celui-ci, s'il n'a plus la possibilité d'acheter ce dont il a besoin, doit en venir à la violence et donc au vol pour se l'approprier. Interdire l'accès de la Chine au commerce mondiale serait un acte de guerre. Au lieu de s'aliéner toute la population chinoise, le commerce est donc préférable à la guerre.
Certes, le commerce international n'a pas su empêcher la guerre entre l'Angleterre et la France à la fin du XVII ème et au début du XVIII ème siècle, mais, à l'époque, ces 2 puissances européennes n'étaient pas aussi interdépendantes que l'Occident et la Chine d'aujourd'hui. La révolution industrielle ne faisait que commencer... Les pourfendeurs de la Chine trouvent qu'elle est devenue l'usine du monde et qu'elle a un quasi monopole sur les batteries, de nombreux médicaments, ce qui nous met dans une dangereuse position. A cela, on peut rétorquer que la Chine est peut-être encore plus dépendante de l'Occident que nous d'elle, car
son agriculture n'arrive pas à nourrir toute sa population. En effet, la Chine manque d'eau et cela l'oblige à importer des céréales, du porc et du lait de l'Occident!
Concernant le problème de la désindustrialisation, remarquons que ce mouvement de désindustrialisation vers le secteur tertiaire a débuté bien avant les années 1980 et les réformes de Deng Xiaoping qui remirent la Chine sur le chemin de la prospérité par le capitalisme.
De plus, comme je l'ai déjà écrit dans
ce blog à propos de la chaussure, la Chine aussi voit ses industries les plus basiques partir vers des pays moins développés (Vietnam, Indonésie).
La Chine n'est donc pas la cause de notre désindustrialisation et sa richesse n'a pas été acquise à nos dépens. Certes, son régime autocratique risque de devenir de plus en plus dangereux pour ses voisins et la puissance américaine, mais la Chine ne peut pas s'isoler du monde sans en subir des conséquences sur son niveau de vie. Ses dirigeants ont donc intérêt à continuer son développement rapide et paisible. De notre côté, au lieu d'envier sa croissance, nous ferions mieux de nous demander pourquoi nous persistons à tant de dépenses publiques quand tous les pays à forte croissance, comme la Chine, nous montrent quelle est la voie à suivre.