Thursday, March 3, 2022

Pour de la prudence en Ukraine et une solution européenne


Etre libéral et conservateur (et non néo-conservateur!) c'est aspirer à la liberté et une vie prudente qui ne remet pas tout en question. Au niveau d'un pays, le meilleur moyen de vivre en paix, c'est de respecter les frontières des autres pays et de ne pas essayer de renverser des gouvernement étrangers, même s'ils ne sont pas gentils, car cela peut mettre aboutir à des conséquences inattendues et contraires à celles qu'on avait. L'intervention en Libye est un bon exemple. Le vieux Kaddhafi avait abandonné ses ambitions atomiques et n'était plus une menace pour ses voisins comme Saddam Hussein avait pu l'être. Et pourtant, l'Occident alla le bombarder, le renverser. Depuis, la Lybie est en guerre civile et est devenue le point de départ de nombreux migrants vers l'Europe. 

On a voulu aussi renverser Bachar El Assad, un autre méchant dictateur en Syrie. Les conséquences auraient pu être tout aussi désasteuses, car sa chute aurait certainement bénéficié à l'Etat Islamique (EI) qui avait implanté son Califat entre l'Irak et la Syrie. Heureusement pour Bachar et pour nous, la Russie de Poutine a prêté main forte à la Syrie et a sauvé le régime. Poutine soutint ce dictateur parce que cela servait ses intérêts. On a là un paradoxe qui devrait inciter à l'humilité et la prudence: en politique étrangère, nos bonnes intentions n'ont pas forcément de meilleurs résultats que des actions intéressées. 

Je ne me rappelle pas que l'Occident ait remercié Poutine d'avoir eu raison de maintenir Bachar au pouvoir. Poutine avait raison de critiquer l'Occident de vouloir renverser des régimes dans des pays étrangers. Le problème dans cette crise avec l'Ukraine est que Poutine ne considère pas ce pays comme étranger à la Russie et donc, il ne considère pas ses frontières inviolables. Sinon, en tirant les leçons des fiascos des interventions en Irak, en Syrie, en Lybie, en Afghanistan, il n'aurait pas du envahir l'Ukraine!

Là où il y a une majorité russophone, sa logique de vouloir rattacher ces régions à la Russie est plus ou moins compréhensible et défendable, surtout que ces régions sont en proie à une guerre civile qui a fait plus de 10000 morts depuis 8 ans et bien plus de réfugiés. Mais l'invasion de la partie non russophone de l'Ukraine a pour but le changement de régime, et cette action est trop brutale pour être prudente. Elle pose un risque à toute la stabilité de l'Europe et les réactions de cette première semaine de guerre montrent à quel point des réactions imprévues ont été mises en branle. L'Allemagne est sur le point de mettre fin à son tournant énergétique et de se réarmer. La Finlande et la Suisse mettent fin à leur neutralité. L'espace aérien européen est interdit aux Russes (et vice versa), ce qui va bénéficier aux compagnies asiatiques... Au lieu de se sentir plus en sécurité avec une Ukraine neutralisée, la Russie risque de se sentir encore plus isolée et menacée. Ainsi, même s'il atteignait ses objectifs militaires avec relativement peu de pertes humaines, cela risque bien d'être une victoire à la Pyrrhus pour Poutine. Mais pour les Etats-Unis et l'Occident en général, ce n'est pas non plus une bonne nouvelle, car cela poussera Poutine à s'allier encore plus étroitement avec la Chine, la puissance capable de rivaliser avec les USA.

Il y a du positif dans le fait que Poutine ait réussi à réveiller l'Europe de son long sommeil pendant lequel elle avait abdiqué sa défense aux USA. Mais il y a beaucoup de points négatifs. Les sanctions vont surtout pénaliser les entreprises et les consommateurs européens. La réduction des importations d'énergie de Russie profitera surtout aux USA et aux pays du Golfe. Et le pire, c'est qu'une paix durable s'éloigne en Europe et dans le monde.

Comment améliorer la situation? 

Faire de la Russie de Poutine un ennemi de l'Europe et de l'Occident me semble simpliste et contre-productif. Pour Mearsheimer, Védrine ou Villepin, l'Occident est grandement responsable de cette situation, car la Russie s'est sentie flouée par l'extension de l'OTAN à la suite de la chute du mur et de la dissolution du Pacte de Varsovie. Dans l'enthousiasme de la liberté retrouvée, la Russie défaite a vu son empire s'écrouler. En 1914, la France avait envie de revanche sur 1871 et sa perte de l'Alsace. En 1939, l'Allemagne voulait sa revanche sur le traité de Versaille. En 2022, Poutine nous parle aussi de revanche... Aussi, de part notre histoire, la France et l'Allemagne ont un devoir d'aider la Russie à surmonter son envie de revanche en comprenant l'état d'esprit de Poutine. 

C'est dans notre intérêt, car la Russie possède l'arme atomique, la meilleure armée d'Europe et une nouvelle guerre mondiale démarrée en Europe serait la fin du monde. C'est aussi l'intérêt de l'Europe, car nous avons besoin de son énergie et de ses matières premières pour alimenter nos économies. 

Je propose une politique d'apaisement réaliste et ferme. Il s'agit de reconnaitre que l'Ukraine n'est pas un membre de l'OTAN ni de l'UE et que des liens spéciaux le lient à la Russie. Selon l'indice de liberté économique du Heritage Foundation, l'Ukraine est un pays des pays les plus corrompus d'Europe (44ème sur 45). Son score est même inférieur à la Russie! Sa population est tellement dégoûtée du système qu'elle a élu un comédien! Une partie des Ukrainiens pensait peut-être que l'UE pourrait aider à faire baisser la corruption et redynamiser l'économie comme dans d'autres pays du bloc soviétique (la Pologne, la Hongrie, la Roumanie...) Ce dont ce l'Ukraine a surtout besoin, ce n'est pas tant d'être dans un camp ou un autre, mais de se développer. Ainsi, en contre-partie d'une neutralisation de l'Ukraine, l'UE devrait s'engager à l'aider à se développer économiquement par plus de libéralisme économique.

La fermeté doit se traduire par une augmentation des dépenses militaires dans toute l'Europe afin de rétablir un équilibre des forces face à la Russie. Pas plus, pas moins. Mais il faudra aussi aide la Russie à sortir de sa dépendance à la manne financière de l'énergie. En effet, actuellement, la Russie gagne financièrement à augmenter les tensions sur les marchés de l'énergie. Et elle perd quand la paix revient et que les prix baissent. Il faut donc lui garantir ses revenus afin qu'elle ne souffre pas de la baisse du prix de l'énergie quand la paix reviendra. 

La conclusion logique, si l'on croit que l'UE a permis de réconcilier la France et l'Allemagne en sublimant leur désir de puissance dans une entité commune, c'est de proposer à la Russie (et à l'Ukraine et à la Biélorussie) de rejoindre notre Union Européenne des nations. Bien sûr, cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. Il faudra une désescalade de cette crise, un retrait russe, une neutralité de l'Ukraine, puis des réformes dans ces pays en vue de l'adhésion d'ici une dizaine d'années. Si l'on était prêt à l'envisager pour la Turquie, cela doit aussi être envisageable pour la Russie. Avec 140 millions d'habitants, la Russie n'aura pas de majorité démocratique au parlement et les autres pays européens n'auront donc pas à craindre sa domination.

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