L'homme n'a commencé à se civiliser qu'il y a 5000 ans environ. Longtemps, il n'a fait que survivre en utilisant ses instincts les plus primaires. Ceux-ci sont gravés au plus profond de notre nature animale. L'un de ces instincts de survie est celui de pouvoir juger rapidement si une personne ou une situation est dangereuse ou non. En une fraction de seconde, moins qu'il n'en faut pour réfléchir, le cerveau nous dit de nous méfier d'un serpent, d'un ours sauvage ou d'un couteau pointu. Et comme si cela ne suffisait pas, on se raconte des histoires pour bien identifier les méchants: les loups dans le chaperon rouge, les nazis dans les films de guerre, les gens du voyage dans les faits divers, les islamistes dans les actualités internationales... Et si l'on a vécu une histoire désagréable avec un type de personne en particulier (un soir, j'ai été détroussé avec deux potes par des jeunes plutôt bronzés), on va être sur ses gardes si l'on en rencontre des similaires *.
Bref, les préjugés sont souvent de l'ordre de l'instinct et il est difficile d'en changer. Mais on remarquera qu'il existe aussi des préjugés positifs: on fera plus confiance à une personne propre sur elle et bien habillée qu'à un clochard. C'est pourquoi tous les politiques et banquiers s'habillent plutôt bien! Pourtant, les politiques nous coûtent bien plus chers que les clochards,,,
Et parfois on est soi-même l'objet de préjugés! Je vais vous raconter comment cela a failli me coûter plus qu'un boulot: l'amour de ma vie! En effet, je tombai amoureux d'une belle et jeune Taiwanaise en janvier 1993. Le coup de foudre! Cela se passait aux USA pendant mon année de mastère à l'étranger. Mais rien à faire pour la conquérir. Elle avait vu trop de film occidentaux et de toutes ces histoires, elle avait retenu que l'homme blanc occidental est volage, qu'il passe allègrement d'une fille à l'autre, et les pires sont les Français! Voici un préjugé assez bien établi dans la communauté asiatique et je ne pense pas que je pourrai changer cette idée chez tous ces gens-là. D'ailleurs, le taux de divorce en France et la vie amoureuse de certains de mes amis leur donne plutôt raison...
Que faire? Baisser les bras et prendre le rôle de la victime? Ce serait trop simple et l'amour demande toujours des sacrifices... Aussi, comme nous êtions simples amis, je me suis mis en tête de lui montrer que je n'étais pas le cliché qu'elle avait en tête, que je n'arriverai pas à l'oublier, que même plus d'un an après être rentré France, je pensais toujours encore à elle et qu'aucune autre n'avait pu lui ravir la place qu'elle avait dans mon coeur. Et un jour, je lui annonçai que j'allais la retrouver à Taiwan, dans 6 mois. Et durant ces 6 mois on s'est beaucoup écrit et j'ai senti qu'elle commençait à craquer. J'ai appris le chinois, j'ai quitté mon premier boulot, ma famille et la France pour la rejoindre et elle accepta enfin de sortir avec moi! J'avais montré du sérieux et une perspective de long terme.
Je n'ai pas réussi à faire changer l'opinion des Taiwanaises sur les Français, mais j'ai réussi à changer l'opinion de la Taiwanaise qui m'importait sur moi. Nous nous sommes mariés en 1998, avons eu 2 enfants et notre union continuera tant que nous nous battrons pour la faire vivre, car ce n'est pas toujours facile de se marier avec quelqu'un d'une autre culture, d'une autre langue...
Ma petite histoire a pour but de montrer qu'on est tous sujets aux préjugés. Le combat le plus important est celui qu'on mène autour de soi pour montrer sa vraie nature, son caractère. Plus les gens vous connaissent, moins ils vous jugeront en fonction de préconsidérations, mais plus en fonction de vos actions. C'est ce que disait Martin Luther King Jr: "Je rêve que mes quatre petits enfants vivront un jour dans un pays où on ne les jugera pas à la couleur de leur peau mais à la nature de leur caractère." Mais pour montrer la vraie nature de son caractère, il faut du temps et de la patience. Il faut aussi parfois faire des petits sacrifices, se mettre dans une situation peu confortable (aller à Taiwan). J'ai aussi du accepter des boulots moins bien payés qu'en France ou moins bien payé qu'un expatrié ou un autochtone. Cela m'a permis de faire me preuves et de voir mon salaire augmenter rapidement, car mon employeur Taiwanais a pu constater ma productivité et mes bons résultats.
Et pour la petite histoire, une jeune femme Taiwanaise embauchée pratiquement en même temps que moi par Siemens Telecom a eu un salaire supérieur au mien. On avait des diplômes très similaires et autant d'expérience. Mais sa compétence s'est vite avérée limitée, tandis que mon chef me donnait de plus en plus de responsabilités. En fait, elle avait mieux négociée son salaire que moi. Mais je sais que j'ai vite gagné plus qu'elle, grâce aux primes personnalisées qu'on me donnait, puis grâce à un salaire qui augmentait rapidement!
J'ai eu de la chance d'être tombé sur une femme intelligente qui vit par-delà ses préjugés, et sur un employeur qui remarqua mes performances et me paya en conséquence (jamais assez, bien sûr!). Certaines personnes sont trop obtues pour changer d'opinion quoi qu'on fasse et le travail ne paie pas à tous les coups. Mais la chance de réussir est bien plus grande que si l'on prend simplement la posture de la victime et qu'on n'arrête pas de se dire que ce n'est pas juste. Et si cela ne marche vraiment pas, on est libre de trouver mieux ailleurs!
(* Nous sortions de boite de nuit, à la campagne, et faisions du stop pour rentrer chez nous, 2 villages plus loin. Nous sommes montés dans leur voiture de notre plein gré, sans méfiance ou préjugé aucun.)