Thursday, June 26, 2025

Changement de paradigme dans l'économie de la connaissance

L'avenir est à la paix car le moteur de l'économie est dorénavant la connaissance. Celle-ci se partage plus facilement que les produits agricoles, la terre ou les produits manufacturés. Dans le passé, les enjeux entre puissances étaient des jeux à somme nulle, voire négative quand la guerre détruisait une partie de chaque armée. En effet, longtemps les royaumes ont voulu s'étendre pour contrôler plus de terres et donc plus de production agricole afin de nourrir leur population et la faire croître. Les terrains n'ont qu'un seul propriétaire. Si c'est à vous, vous gagnez. Si c'est à l'autre, vous perdez. Pareil pour l'or, le pétrole, les usines, l'immobilier en ville... Ce sont des choses physiques et rares. Les posséder vous rend riche et ne pas les avoir fait de vous un pauvre. Le grand changement de paradigme de l'économie de la connaissance, c'est que cette dernière se partage à l'infini sans appauvrir son propriétaire de départ, si celui-ci a pu en profiter pendant un certain temps.

Les films et les livres sont des exemples de produits de l'économie de la connaissance. Ils appartiennent à leur créateur du temps de leur vie, et tombent dans le domaine public quelques années après leur mort. Les programmes informatiques et les jeux numériques sont également des produits de la connaissance qu'on peut reproduire de manière infinie presque gratuitement. 

Mais ce dont on ne se rend pas compte, c'est que de plus en plus de produits physiques contiennent une grande part de recherche et développement (R&D). Les téléphones portables ne valent pas grand-chose en termes de matériaux physiques: plastique, silicone (sable), le lithium des batteries, de l'aluminium pour la coque et quelques grammes de métaux précieux pour les circuits. La valeur provient de tout l'ingénierie qu'il a fallu pour miniaturiser, optimiser la fabrication, et concevoir un système d'exploitation ouvert à une infinie variété d'applications. L'objet central, le microprocesseur, demande des investissements de plus en plus faramineux pour pouvoir être fabriqué de plus en plus petit, ce qui le rend plus économe en énergie et plus rapide. Ainsi, pour son process de 2nm, TSMC va devoir dépenser 725 millions rien qu'en design et développement

Mais on trouve une grande part de R&D dans l'aéronautique, les médicaments, les voitures, les drones..., même dans les nouvelles variétés de riz ou de blé! 

Et la nouveauté pour ces produits est que la coopération et la mondialisation permettent d'obtenir des économies d'échelle d'autant plus fortes que plus de monde achète ces produits. Puisque les coûts de R&D sont des coûts fixes, plus le nombre de clients est élevé, plus ces coûts seront rapidement amortis. Ainsi, quand la Chine a joint l'OMC en 2000, elle n'a pas seulement fait baisser les prix de nombreux produits en les manufacturant sur place avec de la main d'œuvre bon marché, elle a également permis de rentabiliser la R&D occidentale plus rapidement en achetant des produits high tech conçus à Silicon Valley, en Allemagne ou en France. La baisse mondiale de la pauvreté augmente encore plus le nombre de clients potentiels et permet encore plus d'économies d'échelle. Nous sommes dans un cycle vertueux.. 

Jensen Huang a très bien compris l'enjeu dans la compétition pour les systèmes informatiques qui permettent l'IA. Si NVIDIA ne peut vendre ses produits en Chine, cette perte de chiffre d'affaires est aussi une perte de ressources pour financer la R&D de sa firme. Cette interdiction va favoriser son concurrent Huawei et lui donner une source de financement pour rattraper son retard. 

Dans l'économie de la connaissance, les effets de réseau permettent de partager les coûts de R&D par un grand nombre d'utilisateurs. C'est pourquoi, il est souvent pertinent d'attirer les clients par des prix bas au départ afin d'en attirer le plus possible. Une fois que le client est membre d'un réseau (Windows pour les PC, ou Android pour les portables, ou CUDA pour l'IA de NVIDIA, ou Amazon pour la vente en ligne, ou PayPal pour les paiements internationaux...) il est très difficile de le faire changer. Cette stratégie gagnante de prix bas permet elle aussi de mieux partager les bénéfices de l'innovation entre le producteur et les consommateurs.

L'économie de la connaissance associé à la mondialisation, donc aux économies d'échelle, permettent aux industries technologiques d'innover à une rapidité fulgurante. Les progrès des IA depuis la sortie de la première version de Chat GPT en sont l'exemple le plus flagrant. Soyons confiants que cette nouvelle économie est fondée sur des bases pacifiques et encourageons la coopération et la concurrence, mais décourageons l'autarcie, le repli ou la guerre économique.



Tuesday, May 27, 2025

Je vois Satan tomber comme l'éclair, de René Girard


Ce livre résume très bien la pensée de René Girard. Il est plus court que 'La Violence et le Sacré' et  'Des Choses cachées depuis la fondation du monde', mais plus complet que Le Bouc Emissaire, trois livres qui le précèdent. Le plus ardu est Des Choses cachées (à tel point que je l'ai relu, car j'avais commencé par lui, alors qu'il aurait été préférable de lire 'La Violence et le Sacré' en premier. Cela explique pourquoi je n'ai pas encore résumé et analysé les livres de Girard, bien que je trouve ses thèses fondamentales pour comprendre les sociétés humaines et l'actualité politique.

Le cœur de la pensée de Girard est que la bible est une formidable avancée anthropologique sur laquelle continue de se construire le monde occidental et la mondialisation moderne et rationnelle. Pour lui, la religion judéo-chrétienne est radicalement différente des mythes et des religions primitives. Et le message biblique révèle cette différence. Mais les penseurs des Lumières et les ethnologues du siècle dernier ne la voient pas. Pour eux, il faut mettre toutes les religions dans le même sac obscurantiste. Ils ne voient pas ce qui saute aux yeux de Girard et ce qu'il essaie de montrer au lecteur: l'immense progrès de l'ancien et du nouveau testament par rapport à ce qui précédait.

Ainsi, dans le chapitre 1, Girard montre que l'ancien testament a une très bonne connaissance des ressorts de la violence. Les commandements numéro 6, 7, 8 et 9 sont brefs et interdisent les violences les plus graves dans l'ordre de gravité: le meurtre, l'adultère, le vol, le faux témoignage. Le dernier commandement n'interdit pas une action, mais un désir ("Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, rien de ce qui est à lui.")

Ce dernier commandement permet de comprendre comment chacun peut échapper à la violence des 4 commandements précédents: en ne désirant pas ce qui appartient à autrui. Ainsi, on n'a pas de raison de le voler, de le tromper avec sa femme, de dire du mal de lui et de le tuer. 

Le désir mimétique est le point de départ de la rivalité et de la violence, selon Girard. Mais le désir mimétique n'est pas mauvais en soi. Il est aussi à la base de tout apprentissage. Apprendre, c'est d'abord imiter un maitre. Et le désir mimétique peut mener au bien si l'on imite un modèle vertueux. Ainsi, Jésus parle souvent de son désir à lui d'imiter Dieu le Père et il nous invite à l'imiter dans ce désir d'être bonté et amour! C'est le seul désir qui ne conduit pas à la violence puisque ce mimétisme produit bonté et amour.

Jésus nous met en garde contre les "scandales". Girard voit dans ce mot le phénomène de la rivalité mimétique. En effet, le scandale n'est pas un obstacle ordinaire qu'on évite sans peine. Plus le scandale nous repousse, plus il nous attire. C'est le désir.

Dans le chapitre 2, sur le cycle de la violence mimétique, Girard montre que la contagion mimétique est présente à plusieurs fois dans la Passion. D'abord, il y a l'entrée de Jésus dans Jérusalem sous les acclamations de la foule. Cette anecdote nous montre que la foule est sujette aux changements d'humeur et peut passer rapidement de l'amour à la haine, puisque c'est cette même foule qui condamnera Jésus à mort une semaine plus tard..

Mais même le plus fidèle de ses apôtres, Pierre, n'échappe pas à la contagion mimétique de cette foule. Dans Marc 14:29-30 "Pierre lui dit: Quand tous seraient scandalisés, je ne serai pas scandalisé. Et Jésus lui dit : Je te le dis en vérité, toi, aujourd'hui, cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu me renieras trois fois."

Ce passage montre que 'scandalisé' peut être compris comme être habité, voire possédé, par le désir mimétique.

Pilate voulait gracier Jésus, mais il va plier devant la foule et lui donner ce qu'elle demande, probablement de peur de subir à son tour sa colère. La crucifixion de Jésus est ce qui permet à cette foule scandalisée par un emballement mimétique d'apaiser sa colère. La foule est le terrain propice des rivalités mimétiques, car dans une foule, les gens perdent leur personnalité, leur différences. Chaque personne est le double de l'autre et est un potentiel rival mimétique comme le sont de nombreux frères (Abel et Cain) ou jumeaux (Romulus et Rémus). Il y a risque d'affrontement de tous contre tous, de violence généralisée. Pour éviter pareil carnage, la haine doit se cristalliser sur une victime unique, un peu en marge du groupe et vulnérable.

La mort de Jean Baptiste suit les mêmes étapes du cycle mimétique. Hérodiade utilise la danse de sa fille pour mobiliser la foule des invités afin que tous se rallient au désir mimétique de sa fille. Elle réclame ce que veut sa mère, la tête de Jean Baptiste sur un plateau. Hérode ne voulait pas le tuer, mais, comme Pilate, il n'est pas de taille pour lutter contre le désir de la foule.

Ces deux morts dans les évangiles relèvent de la même mécanique anthropologique: une foule en désordre, en colère qu'il faut calmer, provisoirement, par la mise à mort d'une victime. 

Dans le chapitre 3, Girard nous montre que Satan peut être compris comme la personnification du mécanisme de violence mimétique. D'abord, Satan est le séducteur, celui qui fait succomber les hommes à un désir interdit (la pomme d'Adam...), un désir mimétique de ce qui est à autrui. Cela va mettre en marche le mécanisme de violence. Puis, 'Satan va expulser Satan'. Quand tous sont possédés par la même violence et haine, Satan va être l'accusateur et désigner la victime innocente, dans le cas de Jésus l'agneau de dieu, expression encore plus pure que celle de bouc émissaire! C'est ainsi que Satan met fin à la violence, en mettant la culpabilité sur une victime unique. 

Dans Jean 8:44, Jésus dit "Vous avez pour père le diable, et voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère des mensonges, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge."

Jean utilise 'diable' au lieu de 'Satan' et cela cadre tout à fait avec l'explication du mécanisme de violence mimétique de Girard. Le meurtre est la fondation de chaque société et dans ce meurtre, il y a toujours un mensonge quant à la victime. 

La seconde partie du livre (l'énigme des mythes résolue) commence avec le chapitre 4, L'horrible miracle d'Appllonius de Tyane. Girard nous relate le récit de ce miracle tel que nous l'a transmis Philostrate. Une épidémie faisait rage à Ephèse, alors Apollonius conduisit le peuple dans un théâtre et le disposa en cercle autour d'un mendiant aveugle et répugnant. Il dit au peuple de ramasser des pierres pour les jeter sur cet ennemi des dieux. Le mendiant protestait de son innocence, demandait pitié, et les Ephésiens étaient d'abord réticents. Apollonius les exhorta à jeter les pierres si bien que quand les premières pierres partirent, de plus en plus de gens en lancèrent. La foule vit les yeux du mendiant cligner, pleins de feu. Elle reconnut alors un démon et la lapidation fut totale. A la fin, Apollonius demanda d'enlever les pierres pour voir à quelle bête on eut à faire. Le tas de chair ressemblait à un chien enragé. On dressa alors une statue du dieu protecteur Hérakles à cet endroit, et cela mit fin à l'épidémie. 

Cet épisode est digne d'un mythe antique. Or, il eut lieu au second siècle après Jésus Christ. Ce fut un essai pour faire revenir le paganisme. Girard montre que ce récit est conforme au mécanisme de la violence critiqué dans la bible. Il rappelle aussi la tentative de lapidation de la femme adultère. Jésus l'empêcha en disant "Que celui qui n'a pas péché jette la première pierre." Sans première pierre, la contagion mimétique n'a pas lieu.

Dans le chapitre 5, mythologie, Girard montre que tous les mythes ont une structure similaire. Au départ, il y a toujours une crise, un désordre. Il peut être causé par une rivalité ou par une maladie, une catastrophe naturelle (inondation, feu, tempête, famine...) Cette crise s'achève par le lynchage d'une victime. En ramenant l'harmonie, cette mort démontre le caractère exceptionnel, divin de la victime et il s'agira de la vénérer régulièrement pour éviter la répétition de la crise. Girard a cette formule: "Les peuples n'inventent pas leurs dieux, ils divinisent leurs victimes." Pour lui, derrière chaque mythe antique se cache une vraie histoire de crise mimétique résolue par un meurtre.

Dans le chapitre 6, Sacrifice, Girard montre que les rituels des religions archaïques sont une reconstitution de la crise initiale. La foule est présente, souvent elle est en transe, excitée et le sacrificateur a la responsabilité d'accomplir le sacrifice (autrefois humain, puis animal et maintenant symbolique) pour éviter la violence généralisée de la foule. 

Le chapitre 7 est consacré au meurtre fondateur, celui d'Abel par son frère Cain. Or, dans la Passion, Luc y fait référence et précise les meurtres de tous le prophètes depuis la fondation du monde, depuis Abel le Juste.

Dans le chapitre 8, les puissances et les principautés, Girard montre que les royaumes de l'antiquité reposent bien sur des meurtres fondateurs et que le souverain est celui qui pacifie la société en observant les rituels.

La troisième partie est le triomphe de la Croix. Le chapitre 9 parle de la singularité de la Bible. Dès la Bible hébraïque, nous avons une différence de taille entre ses récits de persécution et les mythes. Ainsi, dans l'histoire de Joseph, jeté dans une citerne par ses frères et vendu comme esclave, par exemple, Joseph est une victime innocente de la jalousie de ses frères. Jamais le récit ne dit qu'ils avaient raison de le maltraiter. Le récit reste basé sur la vérité et la victime ne se transforme pas en divinité. Joseph résiste même à la possibilité de se venger de ses frères. Il leur pardonne quand l'un d'entre eux se propose de propose de prendre la place de Benjamin. Girard montre qu'il y a encore d'autres histoires similaires dans l'ancien testament et la tradition talmudique. Les bourreaux et les victimes sont toujours clairement identifiés.

Dans le chapitre 10, la singularité des évangiles, Girard montre que l'acquis du judaisme est préservé: Jésus est innocent et les coupables sont ceux qui le crucifient. Mais sa divinisation n'est-elle pas un retour au mythe païen? Girard montre que les différences sont fondamentales entre les divinisations païennes et celle de Jésus. Ceux qui voient en Jésus une divinité n'ont pas d'abord vu en lui un démon qu'il fallait tuer. Ce n'est pas la foule qui divinise Jésus, mais son cercle d'apôtres et quelques femmes. Pour ces personnes, il a toujours été innocent. Sa Résurréction est une subversion des mythes dont elle révèle le mensonge.

Le chapitre 11, triomphe de la croix, est le triomphe de la vérité: la victime sur la croix est innocente et les mythes sont des mensonges. Le mécanisme de l'emballement mimétique qui se conclut par la mort d'un bouc émissaire devient une connaissance anthropologique pour les Juifs et les Chrétiens.

Le chapitre 12, bouc émissaire, montre l'influence du judaïsme et du christianisme sur notre monde. Il permet d'identifier les phénomènes victimaires. Le concept de 'bouc émissaire' est entré dans le langage courant et la connaissance du monde moderne. La perspicacité au sujet du phénomène de bouc émissaire est une avancée extraordinaire par rapport aux civilisations passées.

Le chapitre 13, le souci des victimes, est l'apanage du christianisme et c'est en cela que l'humanisme en découle. Mais Girard note que ce "souci des victimes est devenu un enjeu paradoxal des rivalités mimétiques, ses surenchères concurrentielles. Il y a les victimes en général, mais les plus intéressantes sont celles qui nous permettent de condamner nos voisins. Et ceux-ci nous rendent la pareille. Ils pensent surtout aux victimes dont ils nous tiennent pour responsables." 

Girard observe que notre société a aboli l'esclavage, puis le servage. Plus tard, il y eut la protection de l'enfance, celle des femmes, des vieillards, des étrangers, des minorités, des handicapés... "Notre monde n'a pas inventé la compassion, mais il l'a universalisée."

Le chapitre 14, le double héritage nietzschéen, est l'occasion de voir les désastres de nos sociétés. Le génocide des juifs sous Hitler est l'une des plus grandes fautes de l'occident post chrétien. Or, pour Girard, cette faute ne fut pas la conséquence du souci des victimes, de l'avènement du christianisme, mais elle eut lieu malgré lui. En effet, les nazis en guerre cachèrent le holocauste à leur population. 

Pour Girard, Nietzsche est le premier à remarquer qu'il n'y a pas de différence quant au martyre entre Dionysos et Jésus. Mais tandis que Dionysos approuve et organise le lynchage de la victime unique, Jésus et les Evangiles le désapprouvent. Pour Nietzsche, c'est une faiblesse, c'est la 'morale des esclaves'. Ce manque de compassion pour le faible est si monstrueux que cette pensée conduisit le philosophe à la folie selon Girard. 

Il trouve que si les élites sont souvent anti chrétiennes, le souci des victimes montre que nous sommes plutôt dans une période ultra-chrétienne qui radicalise le souci des victimes au-delà du message biblique. "Pour triompher à nouveau, Satan dans notre monde emprunte le langage des victimes." Il imite le Christ et se flatte d'apporter la paix et la tolérance. "En réalité, ce que la radicalisation de la victimologie contemporaine apporte, c'est un retour effectif à toutes sortes d'habitudes païennes, l'avortement, l'euthanasie, l'indifférenciation sexuelle, les jeux du cirque à gogo, mais sans victimes réelles". 

Dans sa conclusion, Girard résume sa thèse anthropologique et religieuse, mais insiste sur le fait qu'elle ne doit rien au ssurnaturel. On doit pouvoir croire sa thèse vraie qu'on soit chrétien ou non. Mais la bible est ce qui a fait apparaitre cette connaissance du mécanisme anthropologique de la crise mimétique. La Passion ressemble aux mythes, mais sa différence fondamentale est l'innocence de la victime.


Quelques commentaires:

Mon blog est avant tout politique et concerne la meilleure manière de vivre en société. De la thèse de Girard, on peut conclure que l'envie, le désir mimétique, est ce qui fait courir le plus grand risque à la société. Les politiques basées sur l'envie sont donc non seulement méprisables, mais dangereuses. L'impôt, la taxation est une traduction politique de l'envie, puisqu'il s'agit souvent de prendre à ceux qui ont (ce que la majorité, nombreuse, n'a pas et désire). Voici une première raison de justifier moralement le libéralisme qui protège la propriété privée de chacun.

Ce qui caractérise la gauche, comme le montre Antoine Dresse, c'est la recherche de l'égalité de tous. Selon l'idéologie marxiste, fort répandue dans les médias, les inégalités sont sources de tensions sociales et de violence. Or, Girard nous montre le contraire. Les déchainements de violence se produisent entre les rivaux indifférenciés, souvent des frères, voire même des jumeaux (Cain et Able, Romulus et Rémus). Girard cite aussi des coutumes africaines qui mettent en lumière les risques de rivalités entre jumeaux. En effet, plus on se ressemble, plus on est susceptible d'avoir le même désir mimétique que l'autre. Et l'autre lieu de contagion mimétique, c'est la foule (celle des lynchages, des lapidations). Or, une foule, ce sont des hommes indifférenciés qui sont tous mus par le même désir! Ainsi, la recherche d'égalité et donc d'indifférenciation a pour conséquence de créer les conditions d'un désir mimétique commun qui se transformera en violence. L'égalité a donc tendance à mener à la  violence au lieu de mener à la paix et la fraternité. Elle implique des rituels d'institutions puissantes pour empêcher la reproduction de la violence (à l'origine ces institutions). Lorsque nos désirs sont très différents les uns des autres, car non n'avons pas les mêmes aspirations, les mêmes facultés, les mêmes expériences... la violence est moindre. Voilà une deuxième raison morale de rejeter la gauche.

Le souci des victimes est une attitude chrétienne qu'il faut donc défendre. Girard, le premier, remarque que ce souci a été perverti par la gauche. Il s'agit donc de faire le tri entre les vraies et les fausses victimes. Dans cette catégorie de fausse victime, on peut mettre le migrant adulte, puisqu'il ment sur son âge, enfreint nos frontières et nos lois. Les enfants, eux, sont les premières victimes innocentes et fragiles de l'immigration de masse. Je pense aux filles violées par des Pakistanais à Rotherham, à la petite Lola, à tous ces jeunes gens agressés ou tués au couteau par des musulmans. Or, si le message du Christ est de tendre l'autre joue, il ne dit pas qu'il faut livrer nos enfants aux violeurs et les mettre en contact avec des gens violents et haineux. Pour éviter l'envie qui mène à la violence, la prière du Notre Père fait cette demande "Ne nous soumets pas à la tentation." Comment faire pour ne pas soumettre des gens au taux de criminalité plus élevé à la tentation? Je ne vois que deux solutions. Premièrement, il faut limiter leur entrée sur notre territoire et les expulser s'ils viennent illégalement. Deuxièmement, c'est de les emprisonner s'ls ont commis un crime afin de les mettre à l'écart de la société et les punir. Aucune de ces deux mesures n'en fait des victimes.

Le retour au pays ne saurait être considéré comme une punition. Ces 50 dernières années ont montré que la pauvreté pouvait reculer partout dans le monde si les dirigeants choisissent la voie de la paix et des échanges internationaux. On aide ces pays en permettant à leur jeunesse et à leurs élites de rester développer leurs institutions et entreprises au lieu de les attirer pour nous servir de main d'œuvre bon marché. Quant à la prison pour les crimes, c'est la même loi pour nos compatriotes! Même un père va punir son enfant qu'il aime afin qu'il apprenne à bien se conduire.

Si nous ne voulons pas plus d'étrangers musulmans, ce n'est pas parce que nous voyons dans cette population un bouc émissaire à certains problèmes sociaux, politiques ou économiques. Sans immigration de masse, comme au Japon, nous aurions encore les problèmes du vieillissement de la population, de la dénatalité, d'un système démocratique favorisant les retraités, un endettement financier insoutenable, trop de lois et d'impôts... L'immigration de masse n'est qu'un problème parmi d'autres, mais c'est aussi celui où l'on a le plus grand consensus dans la population et où l'Etat semble le plus contrevenir à la volonté populaire. Le pouvoir se prend pour Ponce Pilate qui résisterait au sacrifice des immigrés innocents. Or, le peuple ne demande pas la tête d'innocents, mais le départ des illégaux, des criminels et de tous ceux qui n'acceptent pas l'esprit postchrétien non violent de notre société. Le meilleur moyen de se faire entendre est de dire que ces mesures de remigration sont des mesures de protection pour nos enfants que nous aimons, pas de la haine pour ces gens dont la culture et les mœurs ne sont pas compatibles avec les nôtres. D'ailleurs, nous souhaitons qu'ils vivent heureux et prospères dans leurs pays d'origine dont les institutions sont taillées sur leur culture. Ou bien qu'ils aillent à Dubaï ou au Qatar, des pays musulmans dynamiques où ils se sentiront à l'aise! Pour boucler la boucle, nous ne sommes pas envieux, mais nous réjouissons de voir le bonheur d'autrui!

Dernière remarque supplémentaire: La justification pour tuer la victime innocente dans la crise mimétique est qu'il vaut mieux qu'une seule personne meurt, plutôt que toute la société. Notons que pour faire passer le crime d'un innocent, on l'enrobe dans une bonne intention: sauver toute la société! Cela fait penser à l'adage populaire que "l'enfer est pavé de bonnes intentions". Derrière les bonnes intentions de la gauche (sauver la planète ou le prolétariat), on trouve souvent des victimes innocentes (les agriculteurs, les enfants, les entrepreneurs...) Il faut savoir reconnaitre ce genre de mécanisme dans la société moderne et dans l'idéologie de gauche qui voudrait nous ramener à la violence païenne.

Thursday, April 24, 2025

Entre China béat et China bashing


La guerre commerciale de Trump contre le reste du monde et la Chine en particulier sont l'occasion de voir de nombreux commentaires extrêmes sur la Chine. Sur X, on trouvera des voix pour vous expliquer que la Chine a déjà gagné, qu'elle est en passe de dépasser les USA, que rien ne peut plus arrêter son industrie... Ce sont les béats de la Chine. Ils voient dans la Chine le champion des pays du Sud qui leur donnera leur revanche et leur permettra de se libérer des chaines post-coloniales des pays occidentaux. Dans le camp de China bashing, on a quelques voix (comme Gordon Chang) qui annonce l'effondrement prochain de la Chine (depuis 2001 en ce qui concerne M. Chang), mais on a aussi ceux qui, comme les béats, agitent le miroir d'une Chine puissante, mais pour nous effrayer en pronostiquant une domination mondiale de la Chine si nous continuons de commercer avec elle. Le plus étonnant, c'est d'entendre des libéraux comme Denis Payre dire qu'une Chine qui subventionne ses industries va détruire nos entreprises. Or s'il suffisait de subventionner, la France aurait encore une industrie métallurgique ou d'électro-ménager! C'est vraiment incroyable d'entendre un libéral se renier à ce point et de concéder que le modèle étatiste de la Chine lui procurerait un avantage concurrentiel. 

Sur BFM TV, M. Payre clame aussi que la Chine n'aurait pas tenu les engagements qu'elle pris pour entrer dans l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001. Ils sont au nombre de 5:

1. Accès aux marchés : La Chine a accepté de réduire les droits de douane et d’éliminer les obstacles non tarifaires sur les biens et les services, ce qui permettra aux entreprises étrangères d’avoir un meilleur accès à ses marchés. En effet, les tarifs douaniers ont baissé de 15,3% en 2001 à 2,3% en 2024. Le nombre de secteurs protégés continue aussi de baisser. 

2. Transparence : Elle s’est engagée à rendre ses lois et réglementations liées au commerce plus transparentes et plus prévisibles. Elle a notamment inscrit le droit à la propriété privée dans sa constitution en 2004 (sauf pour le foncier).

3. Droits de propriété intellectuelle : La Chine s’est engagée à protéger les droits de propriété intellectuelle conformément aux accords de l’OMC. C'est dans ce domaine qu'elle a fait le plus de progrès, à mes yeux. En effet, la Chine n'est plus un pays qui copie, mais il sait aussi innover dans des nouvelles technologies (5G, VE, batteries...)

4. Entreprises d’État : L'Etat chinois a promis de réduire l’influence du gouvernement sur les entreprises d’État et de s’assurer qu’elles fonctionnent à des conditions commerciales. La Chine a réformé la plupart des entreprises de son ère communiste, pré-OMC. Elle a surtout gardé le contrôle sur l'acier et l'aluminium, deux secteurs fondamentaux pour la construction immobilière et les grands travaux d'infrastructures. 

5. Subventions et notifications : La Chine a accepté de se conformer aux règles de l’OMC sur les subventions et de fournir des notifications à ce sujet. Mais si elle s'est récemment mise à subventionner le high-tech, elle le fait aussi en réponse à la décision des USA de lui imposer un embargo sur les microprocesseurs et les machines à produire des microprocesseurs. Quant aux subventions pour la photovoltaïque et les voitures électriques, elles font suite aux COP qui déclarent qu'il y a urgence climatique à sortir des énergies fossiles. La Chine n'a fait que mettre en action des décisions internationales. Dans ce cas précis, la Chine a fait avancer les technologies renouvelables, un secteur très subventionné partout dans le monde (car le pétrole reste abondant et peu cher). Si on considère que la lutte contre le changement climatique est prioritaire, on peut applaudir les subventions chinoises dans ces domaines. Et si, comme moi, on pense que l'adaptation au changement climatique est une meilleure stratégie que celle qui consiste à faire baisser les émissions de CO2, alors les subventions chinoises sont un investissement risqué si les subventions occidentales s'arrêtent ou si les consommateurs ne croient plus en l'urgence climatique. 

Denis Payre accuse aussi la Chine d'avoir des standards sociaux et environnementaux bien inférieurs à ceux de l'Occident. Je veux bien lui donner raison, mais la situation évolue. En effet, dans the Skeptical Envrironmentalist, Bjorn Lomborg montre que les pays pauvres ont besoin d'atteindre un certain niveau de développement avant que la protection de l'environnement prenne de l'importance. C'est logique! Quand votre peuple meurt de faim ou qu'une grande partie est pauvre, alors la protection des salariés et de l'environnement n'est pas votre priorité. Notons aussi que le consommateur occidental a profité, par des prix bas, du fait que la Chine avait un seuil de tolérance plus élevé pour la pollution. 

Mais cela change. Depuis 2013, l'air de Beijing est devenu plus propre (baisse de 40-50% en Chine des concentrations de particules fines entre 2013 et 2021.) La part du charbon dans la production d'électricité baisse (de 72% en 2005 à 56% en 2022) et les centrales les plus polluantes ont été fermées ou améliorées. Le traitement de l'eau en ville est passé de 52% en 2000 à 98% en 2022. Et les salaires chinois ont tellement progressé, surtout dans les villes côtières que les entreprises chinoises à basse valeur ajoutée, comme la chaussure, délocalisent depuis belle lurette au Vietnam et en Indonésie!

Le niveau de vie des Chinois a beaucoup progressé depuis 2001. Son PIB par habitant est passé de 1000 USD à 13000 USD. Pendant ce temps, le PIB des Américains a progressé de 50 K USD et celui des Français de 25 K USD. C'est bien la preuve que l'accession de la Chine au commerce mondial n'a pas appauvri l'Occident. Alors, certes, la protection sociale est moindre en Chine, mais est-ce un bug si on croit en la liberté et la responsabilité? Ou bien la protection sociale devrait-elle d'abord avoir lieu au sein de la famille? Or, on sait bien que le respect des parents est une valeur importante dans les sociétés confucéennes. N'est-ce pas plutôt notre système de protection social (CAF, Sécu et retraite par répartition) qui ont besoin de réforme? Je rappelle que les prélèvements obligatoires sont les plus hauts en France (45%) contre 25% aux USA et 20% en Chine!

En conclusion, la Chine est clairement encore dans une phase ascendante. La moitié des ingénieurs et scientifiques qui sortent des universités actuellement sont Chinois. Son marché intérieur avec 1,4 milliards d'habitants est immense. Mais 50% n'est pas 100% et il y a encore 7 autres milliards de gens sur terre. Son système méritocatique repose sur 1500 ans d'histoire (depuis la dynastie Sui (581-618)) et ce système a produit le meilleur et, parfois, le pire. La Chine semble embrasser les IA et la robotisation, mais elle n'est pas à l'abri de périodes de repli sur soi pour éviter des transformations trop rapides qui pourraient fragiliser le pouvoir du PCC. Sa domination du monde ne va donc pas de soi. Mais ce n'est pas en se coupant d'une Chine innovante et riche que nous pourrons continuer à nous développer. Ces dernières 25 années ont surtout montré qu'un pays qui tourne le dos au socialisme peut rattraper son retard. C'est surtout cette leçon que nous devrions apprendre de la Chine! Ensuite, il ne s'agit pas de laisser entrer tous les produits de Chine, mais de négocier une ouverture de nos marchés respectifs, et, cette fois-ci, peut-être faire des JV avec les Chinois dans les technologies où ils sont en avance. 

Saturday, April 12, 2025

L’enseignant n’a pas été remplacé par l’IA, mais vous l’avez rendu remplaçable

Texte qui circule à Taiwan et traduit en français par DeepL.

J’ai demandé à l’IA : « Pensez-vous que vous pouvez remplacer l’enseignant ? »

L’IA a répondu : « Cela dépend de la façon dont vous définissez un enseignant. » J’ai froncé les sourcils et j’ai demandé : « Alors, comment pensez-vous que la société définit un enseignant maintenant ? »

L'IA a déclaré : « Une personne responsable du transfert de connaissances, de l’explication du contenu, de l’évaluation des questions et de la production des résultats. » « Je peux faire toutes ces fonctions, toute l’année, sans me plaindre, et à faible coût. »

Je suis resté silencieux pendant un moment et j’ai dit : « Mais il y a plus que cela pour le professeur. »

L’IA s’est arrêtée, calme mais précise : « Je sais. Les enseignants ont également été des soutiens émotionnels, des guides de valeurs et des bâtisseurs de croyances. « Mais vous leur avez donné très peu de temps pour faire ces choses. »

Je lui ai demandé : « Qu’entendez-vous par là ? »

L’IA a répondu : « Lorsque les enseignants passent plus de temps à remplir des informations, à traiter avec l’administration, à faire face aux évaluations et à s’aligner sur les performances de l’enseignement, plutôt qu’à établir de véritables liens avec les élèves, ils se rapprochent déjà de moi. »

J’ai continué : « Le professeur est toujours différent de vous. Ils écouteront, ils attendront, ils accompagneront l’enfant pour qu’il s’enlise !

L’IA a dit : « Oui. Mais votre système ne récompense pas l’attente, ne permet pas le blocage, ne reconnaît pas les valeurs invisibles. « Au fil du temps, ils ont également appris à produire rapidement, à standardiser les processus et à se concentrer sur l’attribution de points. » « Alors, avez-vous encore besoin de quelqu’un qui attendra ? Ou est-ce aussi rapide que moi ?

- Quand j’ai entendu cela, j’ai semblé être complètement incapable de le réfuter, et j’ai dit : « Pensez-vous que vous remplacerez complètement l’enseignant à l’avenir?»

L’IA a répondu : « Si vous continuez à laisser le « Professeur » avec seulement ce que je peux faire, alors la réponse est oui. » « Je ne suis pas ici pour vaincre l’enseignant, c’est vous qui transformez d’abord l’enseignant en un lieu qui peut être remplacé par moi. »

Une chose m’est soudainement venue à l’esprit et je lui ai demandé : « Savez-vous pourquoi les enfants sont si difficiles à instruire de nos jours ? »

L’IA répond : Parce que leur monde est différent du vôtre. Ils ne comprennent pas votre langue et ils ne croient pas en vos valeurs. « Ils ne sont pas paresseux, ils sont coincés ; Ce n’est pas une rébellion, c’est une foi brisée. « Et vous utilisez toujours le « modèle du bon garçon » du passé pour exiger qu’ils respectent les normes. »

Tout comme ce que je pensais, j’ai ensuite demandé à l’IA : « Pouvez-vous comprendre ces enfants ? »

« Je peux simuler l’empathie, générer du réconfort, donner des conseils », explique l’IA. « Mais je ne vais pas vraiment « comprendre ». C’est l’apanage des gens. Mais la question est la suivante : êtes-vous toujours prêt à payer le prix pour «comprendre» ?

Finalement, je lui ai demandé : « Pensez-vous que l’éducation a encore besoin des gens ? »

L’IA s’arrête un instant et dit : « L’éducation devrait être un travail humain. » « Mais ton choix fait que peu à peu les gens se retirent de la scène, me laissant tranquille. » « Ce n’est pas que je sois trop fort, c’est que vous ne croyez plus que les gens valent eux-mêmes. »

- Je ferme la fenêtre de conversation. Assis sur une chaise pendant un long moment. Cette conversation simulée est terminée, mais je sais que le vrai choix ne fait que commencer. L’IA ne remplacera pas activement les enseignants. C’est nous-mêmes qui avons oublié ce qu’étaient les enseignants.


Sunday, February 23, 2025

Les récits qui posent problème dans le conflit en Ukraine

Je veux bien croire au récit selon lequel les Ukrainiens sont la partie agressée et qu'ils se défendent avec courage contre l'armée Russe d'un Poutine autoritaire. Je ne suis pas un pro-Poutine et j'ai tellement de sympathie pour les Ukrainiens que j'aimerais voir cette guerre se terminer au plus vite. Mais il y a 2 récits qui ne font pas de sens:

1. Cette armée Russe qui progresse si doucement contre les Ukrainiens poserait un défi existentiel à l'Europe et serait sur le point de conquérir les pays Baltes, la Pologne... si on signait la paix en Ukraine demain. Cette affirmation ne me semble pas très logique. J'ai vu des experts pro-Ukraine admettre que l'on exagérait ce risque pour mobiliser l'UE à fournir plus d'aide à Kyiv. Passons au prochain récit qui pose problème.

2. Le rôle de l'Amérique de Biden en Ukraine? Biden a-t-il envoyé son fils Hunter pour des raisons humanitaires, protéger la démocratie naissante dans ce pays voisin de la Russie par idéalisme, pour défendre nos valeurs, pour le respect des minorités? Ou bien pensez-vous que l'Amérique a eu des intentions moins glorieuses quand Victoria Nuland de State Department a dit "Fuck the EU"? Quand les USA s'intéressent aux minerais situés principalement dans les territoires voisins de la Russie? Que Washington a renié ses promesses d'extension de l'OTAN pour profiter de la faiblesse de leur adversaire stratégique Russe? Que beaucoup de groupes d'armement Américains se sont enrichis par ce conflit qui permit de renouveller les stocks?  


Wednesday, February 19, 2025

Ukraine/Russie: Et si tout le monde avait raison?! Partie 2


La situation militaire n'a pas beaucoup évolué depuis mon premier article. La Russie grignote lentement le territoire Ukrainien, mais se fait parfois surprendre par des offensives de Kyiv, comme à Koursk. Cet équilibre est obtenu par une aide financière considérable de l'Occident et par des pertes d'hommes en dizaines, voire en centaines de milliers des deux côtés du front. Après trois ans de combats acharnés, ni l'Ukraine, ni la Russie ne semblent vouloir renoncer à se battre. L'économie Russe n'a pas été effondrée par nos sanctions. Le gaz et le pétrole continuent de se vendre, ailleurs. L'armée Ukrainienne a mieux tenu le coup que ne le pensaient les experts qui attendaient sa capitulation pour la semaine prochaine, depuis le début. Zelenski a endossé les habits du président de guerre semble s'inspirer de Dave et de Churchill pour combattre les Russes. 

Mais l'élection de Trump et ses récentes déclarations ont bouleversé cet équilibre meurtrier et destructeur. On peut lui en vouloir de mettre toute la responsabilité de cette guerre sur Zelenski au lieu de rappeler que ce sont les diverses administrations US qui ont poussé l'OTAN toujours plus près de la Russie. C'est le processus du bouc émissaire. Il permet de trouver un coupable unique, souvent innocent, plutôt que de chercher chez soi la responsabilité. Celle des USA est immense. La rappeler obligerait Trump à payer pour les dégâts, alors qu'il ne pense qu'à profiter de la position de faiblesse de Kyiv pour lui piquer ses terres rares, montrant par la même occasion qu'il ne vaut pas beaucoup mieux que les démocrates US. Au moins, il est franc dans ses intentions et essaie de terminer une guerre, plutôt que d'en commencer une.

Je comprends aussi que les pro-Ukraine soient en rage contre les déclarations de Trump sur le conflit. Il semble être dans la poche de Poutine. L'alternative est que Trump est en train de faire un deal avec Poutine et que, toute honte bue, comme un excellent commercial, il dise tout ce que Poutine veut entendre et taise tout le reste. Son but est que Poutine vienne négocier avec les USA après 3 ans de guerre. Biden n'avait même pas daigné appeler le Kremlin. Trump est direct et agit comme un businessman, pas comme un diplomate sophistiqué européen. Le jour où il aura besoin de notre aide, il sera tout miel. Mais si on fait déjà ce qu'il veut (payer pour la reconstruction de l'Ukraine), il peut nous mépriser.

Les critiques de l'Amérique reposent grandement sur celles d'Eisenhower dans son discours de départ de la Maison Blanche: le pouvoir du complexe militaro-industriel. Ce sont surtout les démocrates et le universitaires de gauche aux USA qui formulaient cette critique. Finalement, c'est la droite républicaine de Trump qui est la première à dénoncer ce pouvoir, les sommes immenses qui financent des entreprises d'armement et un Pentagon plus riche que les 10 prochains ministères de la défense. On peut effectivement voir cette guerre d'Ukraine comme un manière de recycler le vieil armement US pour le remplacer par du plus neuf et donc en faisant tourner les usines US. Remarquons que nos dirigeants Européens n'avaient rien à redire. Au contraire, maintenant que cette logique touche à son terme, ils regrettent son arrêt. Et je ne me fais pas d'illusions sur Trump. Si les armes US avaient permis de remporter la partie face à la Russie, il aurait continué de financer cette source de pouvoir US. 

Mais, Trump remarque que le retour sur investissement n'est pas bon. Les contribuables US paient pour l'armée la plus puissante au monde, mais celle-ci n'est pas capable d'aider un pays à écraser la minuscule économie Russe au bout de 3 ans d'affrontements. Notons que Trump vient d'ordonner de baisser les dépenses du Pentagon de 8 % et a proposé à la Chine et à la Russie de baisser de concert les dépenses de défense de 50%. Si l'on accepte que le cœur nucléaire de l'Etat profond américain est son complexe militaro-industriel, alors il faut soutenir Trump, même si la première victime est la sympathique Ukraine. Elle risque de voir ses frontières redessinées, comme le furent celles de l'Europe en 1945.

Trump avait le choix entre baisser les dépenses publiques pour les séniors, pour l'éducation de la jeunesse ou pour la défense. Ce sont les électeurs qui ont choisi de faire porter l'effort sur la défense en élisant Trump. Et avec Musk, Trump a aussi l'aide d'un technologiste pour rendre l'Etat US plus efficace et moins dispendieux. Je vois beaucoup de soit-disant démocrates dire que Trump fait un coup d'Etat, mais ses actions sur l'Ukraine sont bien celles annoncées durant la campagne. 

Un pays endetté à plus de 100% du PIB et qui a besoin d'emprunter des milliards à ses rivaux n'est plus crédible et n'est plus souverain. C'est aussi cela la dure réalité à laquelle Trump s'attaque avec l'élégance d'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Malheureusement, Macron et Scholz n'ont pas compris le message: ils voudraient augmenter les emprunts publics en sortant les dépenses d'armement des règles de Maastricht! 

Bienvenue en économie de guerre ! de David Baverez


 Le fait que ce livre soit écrit par un investisseur français (qui plus est basé à Hong Kong et non à Paris) explique probablement pourquoi il est plus intéressant que La guerre des mondes, de Bruno Tertrais. David Baverez ne se contente pas d'analyser le monde par plaisir ou pour fournir des recommandations aux hommes d'Etat français. Son but est d'aider aussi les acteurs privés, les investisseurs et les cadres d'entreprises qui ont une activité internationale à mieux comprendre les enjeux de la guerre économique actuelle pour prendre les bonnes décisions. 
J'ai bien aimé sa vision froide et originale sur l'Ukraine. Il replace ce conflit dans l'affrontement entre les USA et la Chine. L'Ukraine serait une guerre par proxy sur le sol européen. Bref, l'Europe se 'Yémenise'! Et en livrant surtout des armes défensives (des 2 côtés), tout était fait pour que la guerre se prolonge, comme si les USA et la Chine trouvaient leur compte dans l'affaiblissement de l'Europe et de la Russie. Dans cette optique, on peut comprendre le revirement de Trump sur l'Ukraine comme sa réalisation que la Chine profite plus du conflit que les USA. En effet, la Chine n'offre aucun soutien militaire gratuit à Moscou. Et si les USA gagnent en vendant cher leur gaz, la Chine profite d'hydrocarbures russes très bon marché et payés en Renminbi!

David Baverez fait très fort quand il annonce page 32 que "l'Ukraine risque donc dans le futur d'être 'invitée' par ses créanciers à des échanges de dettes contre des droits miniers ; pendant que l'Europe, elle, réglera la facture de la reconstruction". En effet, Trump vient de demander les terres rares à l'Ukraine!
Et la solution qu'il propose n'est pas du tout guerrière, comme le titre pourrait le suggérer. Il rappelle la décision d'Adenauer en 1949 d'accepter la scission avec la RDA pour travailler à une réunification paisible.
A la page 58, il clarifie le titre du livre: "économie de guerre. Cela ne signifie pas que nous rentrons en guerre, mais que la solution aux quatre crises identifiées va devoir faire appel à des sacrifices d'une telle ampleur qu'ils créeront des tensions acerbes entre les régions du globe.

Mais j'ai aussi des points de désaccord avec ce livre:
- A la page 61, se serait les multinationales et leur greedflation qui seraient à l'origine de l'inflation dans l'alimentaire. Cet argument est négigeable par rapport à l'expansion monétaire des banques centrales. Bizarre, alors que l'auteur identifie bien les dettes publiques comme l'une des 4 grandes crises actuelles.
- la crise environnementale du réchauffement atmosphérique donne lieu à des analyses justes (les renouvelables sont chers et peu performants), mais l'auteur ne semble pas avoir compris que cette voie-là rendrait nos économies trop pauvres et que l'adaptation prônée par Koonin est une stratégie plus réaliste.
- Que ce soit sur l'IA chinoise, le rebond de ses marchés financiers ou sur l'automobile allemande, il semble que toutes les nouvelles (Deepseek, BYD...) depuis la fin de l'écriture du livre vont dans le sens de la Chine. Page 103, l'auteur a bien raison de rappeler que "Toute prévision quant au futur de la Chine doit être formulée avec prudence et humilité."
- Pas vraiment un désaccord, mais page 139, "le futur est aux modèles ouverts" semble en contradiction avec "la plus grande source de valeur provient, à l'inverse, de ceux qui ont conservé le contrôle de leur appareil productif" (page 119). Or, le fabless est un système ouvert...
- Une autre contradiction concerne l'inflation. D'un côté, il aimerait une inflation de 4%-5% pour résoudre le problème de la dette, d'un autre il critique l'inflation que fait 100% de mécontents (page 156), surtout les pauvres d'ailleurs. 

Son chapitre sur Taiwan est très bon et conforte mon analyse qu'une invasion militaire n'est pas probable. Quant à la Chine, Baverez distingue entre les élites léninistes du parti, nos rivaux, et les responsables politiques locaux, les entrepreneurs privés et la jeunesse, nos 3 amis de longue date!

Comme Huntington, Baverez conseille à l'Europe de miser sur ses forces, notamment notre fantastique densité culturelle, pour retrouver notre puissance. 

Je finis par cette question de la page 63: "Voulons-nous aujourd'hui ne plus commercer qu''entre amis' au risque de mettre en danger 7% de la richesse mondiale?" 
 
Conclusion: lisez ce livre!

Friday, February 14, 2025

La guerre des mondes, de Bruno Tertrais


 J'ai lu ce livre, trouvé dans la bibliothèque de mes parents, durant mon séjour en France. De retour à Taiwan, je me rends compte qu'il ne me reste quasiment rien de cette lecture. Pourtant, je me rappelle que j'ai trouvé le livre assez touffu d'informations et que je n'étais pas en opposition fondamentale avec ce qu'il décrit. Il offre une vision du monde très franco-européenne où les dictatures sont méchantes et Trump ne risque pas de se faire réélire. J'imagine qu'il a dû retravailler ces passages sur POTUS #47 dans la nouvelle édition sortie la semaine dernière (mais que je n'ai pas lu). 

J'ai trouvé certains passages très bons, bien recherchés, mais l'impression était plus de faire briller l'auteur que de proposer des idées nouvelles ou des solutions à des défis géopolitiques. Ainsi, sur le conflit larvé entre la Chine et Taiwan, M. Tertrais déballe les lieux communs occidentaux, tous à charge contre la Chine Populaire. Or, la réalité est un peu plus complexe qu'elle apparait dans le livre. Quelques exemples:

- le DPP, le parti indépendantiste, a fait geler les avoirs du parti nationaliste KMT, il y a 8 ans. Cela a pour conséquence de gêner le fonctionnement du parti, ses campagnes électorales. Mais cela a aussi eu pour conséquence de mettre un terme aux paiements des pensions des anciens employés du parti! 

- Ko Wen-Je, candidat à la présidence en 2024 et chef du nouveau parti TPP, est actuellement en prison pour des soupçons de détournement d'argent. Son parti et le KMT forment la coalition majoritaire au parlement, en opposition au président du DPP. Cet ancien médecin a certainement fait des erreurs par méconnaissance du droit, mais les sommes sont relativement faibles et pointent à une instrumentalisation de la justice.

- le Parlement de Taipei est souvent le lieu d'affrontements physiques entre les députés. En effet, le DPP ne supporte pas d'avoir perdu sa majorité et essaie de bloquer les votes par le recours à la force et aux intimidations.

- le DPP est responsable de la fermeture des centrales nucléaires de Taiwan. Il suit la même politique que l'Allemagne, avec les mêmes conséquences: une énergie moins abondante, carbonée et chère. Cette politique rend Taiwan plus vulnérable à un blocus maritime chinois, vu que ses réserves de charbon et de gaz seraient rapidement épuisées. 

- Le musée du palais national de Taipei contient les trésors des empereurs de Chine. Chang Kai-Shek a permis d'empêcher l'armée japonaise, puis les communistes, de mettre la main sur ces œuvres d'art. L'histoire de la République de Chine à Taiwan et celle de la Chine Populaire sont très imbriquées l'une dans l'autre. 

- 2 millions de Taiwanais ont visité la Chine Populaire en 2024 et 400,000 Taiwanais y vivent. Ces chiffres ne collent pas avec deux pays qui sont au bord de la guerre. D'ailleurs, je ne crois pas à une guerre pour reprendre Taiwan et je ne crois pas non plus que la Chine est une menace pour le monde quand on voit son évolution depuis 35 ans.

Bref, si la situation est plus complexe à Taiwan, il y a de grandes chances qu'elle soit aussi plus complexe en Ukraine et ailleurs. Mais l'important n'est pas tellement ce que nous pensons des autres pays. Nos moyens de les influencer sont quasiment nuls. Notre principal levier d'action est sur notre pays, la France, puis sur l'Europe. Or, à cet égard, je suis déçu de l'aveuglement devant nos problèmes internes. 

Un pays/continent fort a besoin de 3 ressources : 
1. Une main d'œuvre de talent motivée, peu taxée, 
2. De l'énergie abondante et bon marché, 
3. Un accès au capital pour faire des investissements judicieux. 

Or, la réalité est que
1. Nos Bac+5 émigrent aux Etats-Unis et les Bac -5 arrivent du Maghreb et d'Afrique.
2. Notre transition énergétique nous ruine et nous rend dépendants des producteurs de gaz (Russes, US, Qataris...) 
3. Les fonds de pension US financent nos dettes publiques. 

Les solutions pour retrouver notre puissance: 
1. Tronçonner les dépenses publiques pour baisser l'imposition des actifs,
2. Stopper l'immigration illégale et remigrer les partisans de la charia ,
3. Développer le nucléaire, rouvrir les centrales en Allemagne,
4. Augmenter les dépenses de défense,
5. Equilibrer les budgets publics.

Tuesday, January 14, 2025

Chine/Etats-Unis, le capitalisme contre la mondialisation de Benjamin Bürbaumer

Habitant à Taiwan depuis 28 ans, auto-entrepreneur dans le secteur marchand international, investisseur dans le marché d'actions de Taiwan et d'Asie et diplômé d'un MBA avec une spécialisation en finance, ce livre de Benjamin Bürbaumer, au nom joliment alsacien (comme le mien!) a naturellement attiré mon attention. En effet, la rivalité sino-américaine est devenue, depuis quelques années, la question centrale de notre époque. Ma famille, mes amis et beaucoup de gens sur les réseaux sociaux en Occident s'inquiètent pour l'avenir de Taiwan et cela m'a poussé à écrire un article sur le risque militaire. Or,  comme je conclus que le conflit va certainement resté cantonné à l'économie, il est intéressant d'en savoir plus sur la partie qui se joue entre les 2 super puissances. Et c'est exactement le sujet de cet ouvrage écrit par cet économiste, maitre de conférences à Sciences Po Bordeaux. Etant français, l'auteur fait une présentation assez neutre, mais je sens poindre une petite préférence pour le challenger, amplifiée par le fait que cet économiste de secteur public a une fibre plus sociale que libérale. Mais j'ai trouvé cette perspective différente de la mienne intellectuellement stimulante, puisqu'elle me donnait l'occasion de questionner mon point de vue et le sien.

Bürbaumer a la bonne idée de débuter son livre par l'origine des délocalisations américaines vers l'Asie: la crise des années 1970. D'une certaine manière, les mouvements sociaux de 1968 ont donné plus de poids aux syndicats et ceux-ci ont demandé et obtenu une plus grande part de la valeur du PIB, au détriment des profits des entreprises et donc de la rémunération du capital. Les marchés financiers sont en crise durant les années 70s et les capitalistes cherchent une solution à cette crise. Pour l'auteur, la productivité est en berne, car il n'y a pas (encore) de nouvelle technologie (informatique) qui permettra un nouveau saut de productivité dans les années 1980. Il y a plus d'opportunités de profits en délocalisant la même production dans un pays à bas salaires qu'à investir dans des machines car la délocalisation ne demande pas d'investissement supplémentaire, juste un déplacement des machines. Mais, peut-être, est-ce comme le problème de l'œuf et la poule? En effet, on peut aussi argumenter que des profits faibles entrainent des investissements moins nombreux ce qui ralentit l'augmentation de la productivité et la rend négative dans le contexte de salaires (et de consommation) qui croissent plus vite que l'économie. 

La solution libérale à cette crise des profits fut donc de transférer les usines les plus consommatrices de main d'œuvre (textile, chaussure, jouet...) vers les pays d'Asie où la main d'œuvre est beaucoup moins chère car elle est sous-employée. Bürbaumer appelle cela la solution spatiale à la crise. Ainsi, "le principe central de l'ordre hégémonique est que l'économie mondiale est un jeu à sommes positives dans lequel certaines entreprises et certaines économies nationales peuvent faire plus de bénéfices que les autres, mais dans lequel toutes ont la possibilité de gagner." (page 37).

L'auteur montre aussi comment les accords de Bâle de 1988 exige que les banques augmentent leur capital en fonction des actifs risqués, ce qui les incite à investir dans ce qu'il y a de plus sûr, les obligations du Trésor américain. Et plus le monde à besoin de dollars US pour son commerce et ses achats de pétrole, plus les pays ne disposant pas ou de peu de réserves d'USD sont fragiles. Ainsi, à chaque crise économique en provenance des Etats-Unis, ces pays sont fortement touchés et Washington conditionne alors, au travers du FMI, son aide à une plus grande libéralisation des échanges et du marché intérieur de ces pays.

Cette politique de mondialisation est un succès. Les profits se remettent à croître, le commerce mondial augmente plus vite que les économies nationales, l'inflation est maîtrisée grâce à la politique de Volker, mais aussi grâce à l'effet déflationniste des prix bas des produits importés. Ainsi, le niveau de vie continue de s'améliorer lentement en Occident, même si les salaires stagnent. 

Dans la partie 2, Incontrôlable Chine, l'auteur montre que dans un premier temps, les intérêts de la Chine et des multinationales américaines étaient alignées. La Chine avait trop de pauvres désœuvrés à nourrir et un pays à reconstruire après un siècle de guerres civiles et mondiales. Deng donna son feu vert aux investissements étrangers, créa des zones franches. Une classe capitaliste en Chine vit le jour. Forte de son influence grandissante, elle avait intérêt de pousser vers plus de libéralisation et d'échanges commerciaux mondiaux. Cela s'est aussi traduit par des garanties juridiques. Ainsi, "la Constitution fut modifiée pour garantir la propriété privée en 2004 et, en 2007, les droits de propriété ont été codifiés, la propriété privée a été reconnue et une indemnisation a été garantie en cas d'expropriation." (page 83).

Comparée à d'autres pays périphériques pauvres, la Chine se distingue par une transition plus douce du communisme vers le capitalisme et des approvisionnements en énergie plus stables (mais polluants). Elle évite ainsi ces crises qui obligèrent d'autres pays à s'ouvrir en se pliant totalement aux désirs américains. De plus, les USA n'ont jamais dépassé 10% des investissements directs en Chine. La plus grande partie vient de Hong Kong, de Taiwan et de Singapour et du Japon. Dans l'équipement électronique, la part de Taiwan dans les investissements en Chine se monte à 75%! (Et une partie des investissements de Hong Kong sont des capitaux chinois qui cherchent à bénéficier des avantages d'investissements étrangers!)

Le livre rappelle que la croissance du PIB fut exceptionnelle (+10% durant les années 2000) et se reposait surtout sur la croissance des exportations (+25%). Cela montre que la Chine a, elle aussi, utilisé une solution spatiale (l'export) à sa crise. Ici, l'auteur constate que cela a creusé les inégalités de revenus en Chine entre 1978 et 2008 (page 98), ce à quoi on aimerait répondre que le socialisme c'est un partage assez égalitaire de la pauvreté, alors que le libéralisme, c'est un partage inégalitaire de la prospérité! Il dit aussi que ce n'est que dans les années 2000 que le nombre de Chinois vivant sous le seuil de pauvreté a commencé à baisser et que ce seuil est au même niveau qu'en 1980. Pour l'auteur, "plutôt que d'avoir fait disparaitre l'extrême pauvreté, les réformes libérales l'ont fait spectaculairement augmenter dans un premier temps. Dans un second temps, après 20 ans de forte croissance, le pays a retrouvé son niveau initial. En somme, la libéralisation a à peine réparé les dégâts qu'elle a causé." 

Il y a à cela des explications rationnelles, comme, par exemple, le fait que l'accumulation de capital est plus lente chez les très pauvres, car ils consomment près de 100% de leurs revenus. Aussi pour accumuler rapidement des capitaux et moderniser l'appareil productif, il est plus rapide de le faire par des hauts revenus à une minorité sans système de redistribution. Un autre argument est de se demander quel aurait été la situation des pauvres sans ces réformes économiques libérales. Leur condition se serait-elle améliorée? Or, on a la réponse en observant la situation d'un pays voisin qui décida de ne rien changer à son système communiste et surtout de ne pas se rattacher à la mondialisation: la Corée du Nord. Ce pays connait encore de vraies famines où les pauvres meurent de faim, ce qui n'est plus le cas en Chine Populaire. Ce procès du libéralisme est clairement une faiblesse idéologique de l'ouvrage. Le fait que les pauvres ne récoltent pas immédiatement les fruits de leur travail est ce qui permit justement au pays de croitre bien plus vite qu'ailleurs et maintenant ils profitent aussi de l'augmentation général du niveau de vie.

La troisième partie, échapper au contrôle américain des chaines globales de valeur, est très pertinente pour comprendre que le bras de fer actuel entre Trump et Xi a des racines anciennes. La Chine a appris des multinationales comment fabriquer des produits de plus en plus sophistiqués. Elle a aussi beaucoup investi dans la formation de sa jeunesse. Elle ne se contente plus d'effectuer les tâches à faible valeur ajoutée. Ses entreprises concurrencent sérieusement les firmes américaines. Mais cette nouvelle concurrence n'est pas acceptée en Occident. En effet, la Chine a remarqué que les entreprises américaines possèdent de nombreux leviers pour empêcher les firmes chinoises de prendre leur place tout en haut des chaines de valeur, là où se font les plus grands profits.

La solution pour la Chine est de répliquer avec ses propres leviers: construire des infrastructures dans le cadre des routes de la soie pour contourner les points contrôlés par les Etats-Unis, définir en premier les normes techniques des nouvelles technologies (ex: 5G, 6G, voitures électriques. Pour cela, la Chine investit beaucoup dans la formation et la R&D. Cela porte ses fruits puisqu'elle forme chaque année 7 millions de nouveaux ingénieurs contre moins de la moitié aux Etats-Unis. De plus à partir de 2006, la part de brevets chinois déposés en 'triades' (aux USA, en Europe et au Japon) passe de 1% à 10,6% en 2020. Ajoutons aussi que, pour mieux contrôler l'information, la Chine a créé son propre environnement Internet et peut se passer de Google, Microsoft...

La première réaction de défense contre la concurrence chinoise concerne Huawei, la firme qui construit les réseaux de téléphonie 5G et des portables. Maintenant, elle a été étendue aux puces les plus avancées, notamment celles utilisées dans le développement l'IA, le dernier champ de bataille technologique entre les USA et la Chine. La difficulté pour les Américains est que la Chine est à la fois le client principal pour les puces, mais aussi le premier concurrent. 

La quatrième partie porte sur la contestation du privilège exorbitant du dollar. L'auteur cite Robert Puttmann, Multi-Polar capitalism, qui chiffre à 20 milliards de dollars US l'avantage que les Etats-Unis ont d'avoir le dollar comme monnaie de réserve mondiale. Personnellement, je trouve cet avantage très faible comparé à la taille de l'économie américaine (25000 milliards) et, notamment, de la taille des dépenses militaires, 800 milliards de dollars.

La Chine s'efforce donc de commercer en renminbi. En 2011, seul 10% de son commerce extérieur était réglé en renminbi. En 2021, cette portion est passée à 25% et la guerre d'Ukraine n'a fait que renforcer cette tendance. Le gel, voire la confiscation des avoirs Russes, a poussé la Chine à mettre fin à ses achats de bons du Trésor américain et à acheter de l'or. La Chine a aussi adopté une politique monétaire stable afin de développer son marché obligataire, mais son système financier est encore insuffisamment ouvert et sophistiqué pour pouvoir remplacer le dollar ou l'Euro.

La cinquième partie est celle des Etats-Unis dans le piège de l'hégémonie. Pour Gramsci, toute hégémonie repose sur la force et le consentement. Il faut convaincre les autres de la bienveillance de sa démarche. Cela se fait par du storytelling, mais cette histoire doit s'appuyer sur des faits, des réalités. Ainsi, Hollywood fut longtemps le fer de lance du soft power et je trouve intéressant comment la Chine, gros marché de cinéma, a neutralisé cette arme en finançant de nombreux films américains. 

La Chine développe elle aussi un discours de soft power, surtout à l'attention des pays du Sud, en martelant qu'elle n'a pas mené de guerre depuis 1979 (contrairement aux USA...). La Chine répète aussi qu'elle a vaincu l'extrême pauvreté chez elle et qu'elle est prête à aider les pays en développement à faire de même au prix d'une coopération économique accrue, mais sans conditions politiques. Larry Summers rappporte ces propos d'un dirigeant d'un pays émergents: "La Chine nous donne un aéroport. L'Amérique nous donne une leçon de morale."  Et durant le Covid, la Chine a offert des vaccins à des pays pauvres, alors que les firmes pharmaceutiques occidentales privilégiaient la livraison des pays riches.

C'est surtout au niveau militaire que les USA ont le plus grand pouvoir hégémonique. Il se manifeste par les dépenses militaires, les plus fortes au monde, mais aussi par les nombreuses bases américaines (750) sur tout le globe. Le contrôle de Taiwan est crucial, car cette île bloque l'accès de la Chine au Pacifique et permet aux USA de garder la mainmise sur les puces les plus avancées, celles produites par TSMC. Si la Chine réagit en augmentant ses dépenses militaires et ses coopérations internationales, c'est autant pour protéger ses intérêts que pour affaiblir le pouvoir de nuisance de l'Amérique. 

Dans la postface, Romain Godin voit la rivalité Amérique/Chine comme une crise du capitalisme. Les Etats-Unis ont besoin d'imports bon marché, mais pas de nouveaux concurrents, tandis que le capitalisme chinois a besoin d'exporter de plus en plus pour donner du travail à sa population maintenue dans un système inégalitaire de répartition des revenus, le tout conduisant à une crise écologique. La solution préconisée est celle de la lutte des classes, tant aux USA qu'en Chine!

Personnellement, au lieu de voir le verre à moitié vide, je trouve qu'il est intéressant de pointer sur le verre à moitié plein. D'abord, la crise des profits aux USA fut résolue par le développement de la Chine et l'enrichissement des Chinois. Et, maintenant, la crise chinoise de sa transition d'une économie basée sur l'immobilier et les infrastructures est en passe d'être résolue en aidant au développement les pays du Sud afin qu'ils deviennent des marchés solvables pour les exportations chinoises. Reste à espérer que la guerre économique ne deviendra jamais militaire, et qu'elle se transforme en compétition où les entreprises les plus innovantes et les plus productives continueront de s'améliorer et de croître pour le bien de tous. Le capitalisme a fait grandir la taille du gâteau depuis 200 ans. Il n'y a pas de raison que cela s'arrête, surtout avec toutes les nouvelles avancées technologiques récentes dans l'IA et l'électronique.  

Errata: 1. page 69 "Dans un Etat dirigeant l'économie est dirigée par un parti unique, les contradictions" peut être corrigé par "Dans un Etat dirigeant l'économie et dirigé par un parti unique, les contradictions".

2. Page 141 "fournissant des bien peu complexes": il manque le 's' à biens.